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Livres. « Soleil à coudre », de Jean d’Amérique : désirs sans bonheur dans la nuit d’Haïti

 Le premier roman du jeune poète haïtien suit Tête Fêlée, fille de bidonville, dans son épopée nocturne. Fiévreux et sombre.

Jamais le jour ne point. Comme si la nuit était tombée pour toujours sur la Cité de Dieu. La lumière a déserté l’intérieur des taudis et le cœur des habitants de ce bidonville haïtien. Ils vivent au milieu des gangs ultra-violents et au bout de la ravine Bois-de-Chêne, qui ne charrie pas de bois mais les déchets d’une « puanteur à défoncer les narines » des quartiers huppés de Port-au-Prince. D’ailleurs, rien ici n’est nommé comme il faut : le Théâtre Mare d’Eau abrite un bordel. Et la Cité de Dieu évoque plus précisément Le Radeau de la Méduse, de Géricault (1819).

Trouver comment dire et redire la violence extrême et l’avenir opaque : tel est l’objet du premier roman et cinquième livre de l’Haïtien Jean d’Amérique, 26 ans seulement. Des poèmes de Petite Fleur du ghetto (Atelier Jeudi Soir, 2015) à sa pièce Cathédrale des cochons (Théâtrales, 2020), il explore sans cesse les thèmes de l’enfermement et du désir – d’aimer, d’écrire. Son théâtre, qui se déploie en vers, se confond avec son œuvre poétique. Rien d’étonnant alors à ce que Soleil à coudre revête l’allure d’une prose poétique scindée en plusieurs lieux et actions qui suivent différents personnages. Ou que son héroïne soit une jeune fille coincée dans un taudis quand son cœur explose de désir pour Silence, sa camarade de lycée. Elle ressent pour elle un vertige d’émotions qu’elle peine à retranscrire dans une lettre, déchirée et réécrite, encore et encore.

Prophétie funeste et obsédante

Elles se sont aimées furtivement, puis Silence a dû partir après le meurtre de son père. La narratrice s’appelle Tête Fêlée. Elle est « un soleil à coudre depuis [s]on premier cri au monde ». Son père s’est tiré une balle le jour de sa naissance. Sa mère, Fleur d’Orange, se noie dans le whisky et vend ses charmes à des clients puissants. Enfin, « Papa », qui vit avec elles, fait le sbire pour l’Ange du Métal, le grand bandit de la Cité de Dieu. Dès l’abord de son roman, Jean d’Amérique nous montre que, quoi qu’il advienne, Tête Fêlée sera sauve.

« Soleil à coudre », de Jean d’Amérique, Actes Sud, 144 p., 15 €, numérique 11 €.

Par Gladys Marivat(Collaboratrice du « Monde des livres ») / Le Monde

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