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États-Unis - Vidéo : Témoignages de deux ex-détenus de la CIA sur des tortures subies

Deux Tunisiens préalablement détenus au secret par l'Agence centrale de renseignements (CIA) des États-Unis ont décrit des techniques de torture non documentées à ce jour, jetant ainsi un nouvel éclairage sur les débuts du programme de détention de la CIA, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les deux hommes, Ridha al-Najjar, 51 ans et Lotfi al-Arabi El Gherissi, 52 ans, ont affirmé – lors d’entretiens séparés – avoir été violemment frappés avec des matraques, menacés d'être placés sur une « chaise électrique », soumis à diverses formes de torture par l'eau, et suspendus par les bras au plafond de leur cellule durant de longues périodes.
Les États-Unis ont renvoyé les deux hommes en Tunisie le 15 juin 2015, après qu’ils eurent passé 13 années en détention sans avoir été inculpé ni jugé . Aucun des deux hommes n'a reçu d'indemnisation ou de soutien suite à la détention abusive et aux tortures subies, ni d'aide pour surmonter les préjudices physiques et mentaux occasionnés. Aujourd'hui, les deux hommes sont démunis, inaptes au travail et subissent les conséquences de graves traumatismes physiques et psychologiques qui résultent directement — selon eux — de leur détention par les États-Unis.
« Ces témoignages terrifiants sur des méthodes inédites de torture employées par la CIA montrent qu’il reste encore beaucoup à savoir sur le programme de torture qu’avaient mis en place les États-Unis », a déclaré Laura Pitter, juriste senior chargée des questions de sécurité nationale auprès du Programme États-Unis à Human Rights Watch. « La libération de ces deux hommes sans que les États-Unis ne leur accordent aide ou réparation au titre des tortures et souffrances endurées montrent également le long chemin qu'il reste à parcourir par la CIA pour tourner la page de son programme de torture. »
Le dernier entretien réalisé avec Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi par Human Rights Watch remonte à août 2016. Ils font partie du groupe de 119 hommes que les États-Unis ont reconnu avoir placés en détention secrète aux mains de la CIA lorsque la Commission du Sénat sur le renseignement (Senate Intelligence Committee) a publié, en décembre 2014, un rapport de synthèse accablant de 499 pages issu d'un rapport de 6 700 pages toujours classé confidentiel sur le programme de détention et d'interrogatoire de la CIA. Le rapport de synthèse inclut une description inadéquate du traitement infligé aux deux hommes lors de leur détention aux mains de la CIA, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Les témoignages de première main de Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi ont mis en lumière les mauvais traitements de la CIA lors des débuts de son programme, avant le décès du prisonnier afghan Gul Rahman survenu le 20 novembre 2002 lors de sa détention par la CIA. En réponse au décès de Gul Rahman et à d'autres abus, la CIA a publié ses premières directives formelles pour la conduite des interrogatoires, bien que les détenus aient continué à être brutalisés.
Les forces américaines et pakistanaises ont appréhendé Ridha al-Najjar le 22 mai 2002 dans la ville portuaire de Karachi et Lotfi al-Arabi El Gherissi le 24 septembre 2002 dans la ville de Peshawar située dans le nord du pays, près de la frontière avec l'Afghanistan. Le rapport de synthèse déclare que la CIA a identifié Ridha al-Najjar comme étant l'un des gardes du corps d'Oussama ben Laden. Lotfi al-Arabi El Gherissi a déclaré que ses interrogateurs l'accusaient sans cesse d'être membre d'Al-Qaïda ou d'être lié au terrorisme. Les États-Unis n'ont pas publiquement fourni d'informations à l'appui de ces allégations que Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi démentent tous deux en affirmant aussi les avoir niées incessamment auprès de leurs interrogateurs.
La CIA les a ensuite placés en détention dans différents lieux en Afghanistan. Celui dans lequel ils disent tous deux avoir subi le plus de violations est appelé « Cobalt » dans le rapport de synthèse de la Commission sénatoriale sur le renseignement bien que Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi l'aient nommé la « Prison noire », à l'instar d'autres anciens prisonniers détenus dans le même centre. Les autorités américaines ont par la suite transféré les deux prisonniers aux mains de l'armée américaine à la base aérienne de Bagram, en Afghanistan.
Ni Ridha al-Najjar ni Lotfi al-Arabi El Gherissi n'ont décrit publiquement au préalable le calvaire) qu'ils ont enduré. Les restrictions américaines en matière de communications à Bagram les ont en effet empêchés de communiquer avec l'extérieur tandis qu'ils étaient en détention militaire. Les États-Unis ont transféré Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi afin de les placer sous détention afghane le 9 décembre 2014 avant de les rapatrier en Tunisie six mois plus tard, le 15 juin 2015. Les autorités tunisiennes les ont brièvement détenus avant de les libérer à la fin de ce même mois.
Alors qu'ils se trouvaient à Bagram, Tina Foster, directrice générale du Réseau international de justice (International Justice Network), a tenté de faire revoir la question de la légalité de leur détention par une cour fédérale. Or, la cour a rejeté sa requête en habeas corpus, donnant raison au ministère de la Justice américain qui soutenait que Bagram ne relevait pas de la compétence des tribunaux américains. Tina Foster a fait appel devant la Cour Suprême des États-Unis, mais a été déboutée de son appel au motif qu'il était non fondé, après la libération des deux hommes. Tina Foster a déclaré que pendant toute la durée de sa représentation auprès des détenus, le gouvernement américain ne l'avait jamais autorisée à s'entretenir avec eux.
Human Rights Watch a interrogé chacun d'entre eux dans des lieux différents par l'entremise d'un interprète de langue arabe. Bien qu'ils se soient parfois parlé lors de leur placement en détention américaine, ils ont déclaré qu'ils ne se connaissaient pas avant leur arrestation, ne pas avoir échangé entre eux en détail sur les mauvais traitements subis et ne pas avoir eu de contacts depuis leur libération des geôles tunisiennes.
Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi ont décrit plusieurs méthodes de torture utilisées par la CIA, dont certaines n'ont jamais été mentionnées au préalable :
  • Ridha al-Najjar a décrit des formes de torture par l'eau, notamment le « waterboarding » (la simulation de noyade) ou les douches d'eau froide (« water dousing ») pratiquées sur une planche jusqu'à « ce que je ne puisse plus respirer ». Lotfi al-Arabi El Gherissi a affirmé qu'on lui avait plongé la tête dans un sceau rempli d'eau de manière répétée pour le faire « parler ».
  • Tous deux ont dit que les interrogateurs américains leur avaient montré ce qu'ils avaient qualifié de chaise électrique – une chaise métallique avec des prises attachées à des fils pour les doigts et une extrémité câblée – en les menaçant d'utiliser le système à leur encontre. Leur description de cette chaise donnait l’impression qu’il s’agissait d’une installation rudimentaire, attachée à un tuyau de canalisation.
  • Tous deux ont dit avoir été enchaînés à une barre fixée au plafond de leur cellule pendant des périodes répétées de 24 heures avec seulement de courtes pauses entre elles pendant lesquelles ils subissaient des interrogatoires ou d'autres formes de torture. Ils ont ajouté que cette technique les obligeait à essayer de se mettre debout, mais comme cela n'était pas possible, ils pendaient par les poignets. Ils ont qualifié cette technique de « pendaison » et déclaré qu'elle rendait le sommeil presque impossible. Parfois, leurs pieds touchaient terre, d'autres fois, seulement la pointe des pieds. Ridha al-Najjar a raconté qu'en certaines occasions, ses pieds ne touchaient absolument pas le sol. Il a précisé que cette période de pendaison avait duré environ trois mois dans son cas et Lotfi al-Arabi El Gherissi a quant à lui parlé d'un mois.
  • Tous deux ont affirmé que les interrogateurs américains les avaient roués de coups à l'aide de matraques pendant et après les pendaisons ; ils leur avaient aussi donné des coups de poings et de pieds de manière répétée. Ridha al-Najjar a déclaré que les coups avaient provoqué des fractures de ses os, ce qu'une analyse médicale indépendante a confirmé en étudiant ses examens radiologiques.
En 2009, le président américain Barack Obama a promulgué un décret-loi mettant fin au programme de détention et interrogatoire de la CIA et réaffirmant l'adhésion des États-Unis aux lois fédérales et internationales interdisant la torture. Pourtant, malgré de nombreuses preuves témoignant d'activités criminelles, les États-Unis doivent encore réaliser une enquête criminelle digne de foi sur les tortures pratiquées par la CIA ou poursuivre les responsables. Les États-Unis n'ont pas non plus proposé une forme quelconque de réparation aux nombreux individus ayant subi des tortures ou autres mauvais traitements de la part de la CIA.
Human Rights Watch a soulevé les allégations de torture et d’abus faites par Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi auprès de la CIA. Un porte-parole de l’agence, Ryan Trapani, a répondu par courriel le 28 septembre que « la CIA a examiné ses dossiers et n’a rien trouvé qui étayait ces nouvelles allégations ».
« Les preuves versées au dossier public justifiaient déjà la tenue d'enquêtes criminelles sur les tortures pratiquées par la CIA, mais ces nouvelles allégations viennent encore renforcer la nécessité de rendre justice », a déclaré Laura Pitter. « L'administration actuellement en poste a rejeté le recours à la torture ; or, la torture fera tache sur les prochaines administrations jusqu'à ce que les responsables de ces actes soient poursuivis et les victimes indemnisées. Tant qu'ils seront convaincus de ne pas être poursuivis, les agents américains pourraient encore recourir à la torture. »

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