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Nadir Dendoune : Il fallait mettre à l'écran ce témoignage rare

Au-delà du film émouvant et intime qu'il a consacré à sa mère, Nadir Dendoune rend hommage à la génération d'émigrés des années 60 dont la parole est si rare. Le cinéaste et journaliste s'est confié au Point Afrique.
Peut-on filmer la dignité et la beauté, ces abstractions inamissibles et si relatives ? Oui. La preuve : Des figues en avril*, où le journaliste Nadir Dendoune filme Messaouda, sa mère de 82 ans qui vit seule dans un petit appartement à L'Île-Saint-Denis depuis que le père, atteint d'Alzheimer, a été placé dans une maison hospitalisée. Exil, solitude et nostalgie, mais aussi, courage, beauté de l'âme et humour : Messaouda habite l'écran comme un diamant étincelant de ses sourires et ses incroyables boutades. Il fallait, selon Dendoune, donner la parole à celles qui sont restées dans l'ombre, ces mères arrivées en France pour suivre leurs maris ouvriers durant les Trente Glorieuses, qui se sont sacrifiées pour élever des enfants dans des conditions difficiles. Rencontre avec Nadir Dendoune, auteur notamment de Nos rêves de pauvres, recueil de chroniques qui retrace la saga de sa famille, et de Un tocard sur le toit du monde (les deux titres parus aux éditions JC Lattès), récit de son ascension de l'Everest dont a été inspiré un long-métrage, L'Ascension. Il s'est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : Comment et pourquoi est-ce que votre mère a accepté de se faire filmer ? Quels ont été vos arguments ?
Nadir Dendoune : Je n'ai pas eu besoin d'arguments pour la convaincre. La discussion a commencé naturellement après que mon papa a été placé dans un Ephad (maison médicalisée). J'ai senti que ma mère, en plus d'être triste de voir partir celui avec qui elle avait vécu 63 ans, avait aussi besoin de parler. Elle me disait des choses qu'elle n'avait jamais dites auparavant. Des choses très profondes. Sur elle, sur nous, sur l'exil, la vieillesse, la solitude, la maladie... Stéphanie Molez, celle qui a monté le film, a fini de me convaincre qu'il fallaitmettre à l'écran ce témoignage rare. Et je ne l'en remercierai jamais assez. Ma mère, je la filme avec mon téléphone depuis plusieurs années : elle a l'habitude. Je crois que ce film lui fait du bien. Après les quelques projections de ce documentaire, les gens sont venus lui ont dit « merci ». Elle sent que son histoire parle à beaucoup.
À un moment vous lui dites « nous sommes des banlieusards », mais elle répond « nous sommes des paysans ». À quels monde ou héritage appartient Nadir Dendoune ?
Avant d'être français, algérien ou australien (j'ai trois passeports), je suis avant tout un banlieusard. Mes parents m'ont transmis leurs valeurs prolétaires. Grâce à eux, j'ai également une conscience de pauvres. Quand tout le monde est obsédé par la question identitaire, ma mère remet au cœur du débat la question sociale. Je suis plus proche d'un « Blanc », fils de prolo, qui a grandi dans un quartier populaire que d'un fils de diplomate marocain ou de général algérien ou encore d'un riche qatari. On a tendance à trop l'oublier en ce moment...
Comment gère-t-elle cette profusion de solitude : dans un pays « étranger », loin de sa terre, sa famille, ses enfants qui ont grandi ?
Ma mère a quitté sa Kabylie natale pour rejoindre son mari en France. Et puis, après la guerre d'Algérie, le pays était trop instable pour qu'ils restent. Je crois qu'au fond d'elle, elle aurait aimé rester dans son village d'Ighil Larbaa. Elle adorait sa vie de paysanne, aussi dure qu'elle ait été : chercher du bois, de l'eau au puits, emmener paître les animaux... Elle n'a pas et ne digérera jamais l'exil, mais elle fait avec. Elle s'est sacrifiée pour ses enfants.
Même si elle n'a jamais vraiment digéré l'exil, elle a appris à vivre avec le manque de son pays d'origine. En France, elle a découvert beaucoup de choses. Elle a la chance de vivre dans un quartier populaire, dans une barre HLM, vue par beaucoup négativement, surtout ceux qui n'y ont jamais mis les pieds, mais où se crée beaucoup de solidarité entre voisins. Parmi eux, plusieurs partagent la même douleur liée à l'exil. Le fait de vivre en France lui a permis aussi de s'ouvrir d'autres horizons : avec ses enfants français, elle a pu ainsi voyager aussi à travers le monde. Elle est allée en Espagne, en passant par l'Australie ou encore La Martinique. Chose qu'elle n'aurait pas pu faire si elle était restée en Algérie. Et puis, en France vivent les gens qu'elle aime, ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. La France est devenue son pays, même si l'Algérie n'a jamais quitté son cœur.
Pourquoi le mythe du retour, matérialisé par la maison qu'on construit au bled le plus souvent et qui reste vide, est si fort dans l'immigration algérienne ?
Ce n'est pas liée à l'immigration algérienne en particulier, mais à toute immigration autant au Mali qu'au Mexique. Pour mes parents, la construction d'une maison en Algérie rendait concret leur rêve de retour. Malgré cela, la vie en a décidé autrement et ils ne sont jamais rentrés. 
À un moment de tension, votre mère paraît un peu dure en évoquant l'Algérie…
Elle n'est pas dure avec son pays. Elle aime l'Algérie plus que tout. Elle en veut aux dirigeants qui n'ont pas œuvré pour le bien commun et qui, d'une certaine façon, ont été un des obstacles au retour de centaines de milliers d'exilés algériens.
Est-ce que ce n'est pas aussi un documentaire sur l'amour entre deux personnes piégées par l'exil et la vie ?
Oui. Ma mère n'aurait jamais imaginé, après avoir construit une maison en Algérie, acheter un appartement dans une petite ville de Kabylie, finir seule dans un HLM de Seine-Saint-Denis. Ma mère est pleine de regrets même si pour elle, tout ce qui arrive fait partie de son destin. Bien que son cœur soit triste, sa foi en Dieu lui fait tenir le coup.
Pour elle, vous avez escaladé l'Everest : pour vos deux parents, vous êtes prêts à faire quoi encore ?
À continuer de leur rendre hommage. À les réhabiliter. Pour moi, ce sont des héros de la République française qui ont participé à la construction de ce pays et ont élevé avec brio neuf Français. Ils méritent la Légion d'honneur même si la Légion d'honneur ne les mérite pas. 
PROPOS RECUEILLIS PAR ADLÈNE MEDDI, À ALGER/afrique.lepoint.fr

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