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Rao Pingru célèbre l'amour éternel dans la Chine du XXe siècle

Rao Pingru, auteur de l'émouvant Notre histoire, magnifique récit à l'encre et à l'aquarelle de son mariage avec sa bien-aimée, nous ouvre les portes de sa réalité. L'occasion pour cet homme âgé de 94 ans d'évoquer en creux le quotidien de la Chine rurale, mais aussi les soubresauts de l'histoire, qui lui ont fait connaître la guerre contre le Japon et l'internement, vingt ans durant, dans un camp de rééducation.

"Ma femme et moi avons été mariés pendant soixante ans, avant qu'elle ne décède en 2008. J'étais extrêmement triste. Quelques mois après sa mort, je me suis demandé comment garder sa mémoire. La seule solution pour moi était de noter tout ce qui touchait à sa vie. Ça m'a permis d'alléger ma souffrance et de raconter à mes enfants cette histoire commune. J'en suis venu à dessiner notre cérémonie de mariage, avec beaucoup de tendresse.  
Puis je me suis mis à noter les épisodes de son enfance, qu'elle me racontait autrefois. C'est tout à fait par hasard que ma petite-fille a vu mes premiers dessins et les a diffusés sur Internet. Le récit est devenu populaire, un éditeur m'a proposé d'en faire un livre, mais, pour ma part, je voulais simplement raconter mon histoire à mes enfants.

"Je ne possède rien de plus précieux que mes souvenirs"

Pour moi, la mémoire est un trésor bien plus essentiel que n'importe quelle richesse. On peut dépenser l'argent, on peut aussi l'épargner. Quand les souvenirs sont partis, en revanche, il est impossible de les récupérer. A 94 ans, je ne possède rien de plus précieux. Notre histoire, c'est celle que Meitang et moi avons partagée, mais c'est aussi un récit assez typique de ce qu'ont vécu les gens de notre génération - la seule différence, c'est que les autres ne l'ont pas forcément écrit et dessiné.  
Dessin extrait du livre de Rao Pingru.
R. Pingru/Seuil
Dans l'éducation traditionnelle chinoise, il y a une valeur qui revient souvent, c'est celle de vieillir ensemble, d'avoir des 'cheveux blancs ensemble'. Et quoi qu'il arrive, nous considérons qu'il faut être unis dans le bonheur et dans le malheur. Il n'est pas possible d'être heureux en permanence, il vient toujours un temps où l'on rencontre des crises. Pendant ces moments difficiles, il s'agit de persévérer, de prendre son mal en patience. Cela finit toujours par passer.  
C'est cette confiance mutuelle qui nous a permis de garder espoir, même dans les périodes de grande difficulté. En 1958 notamment, j'ai été pris dans une sorte de marée à laquelle personne ne pouvait s'opposer. Tout ce que nous pouvions faire, c'était de suivre ce courant contre lequel nous étions impuissants.  

Plus d'un milliers de lettres échangées

Alors nous nous sommes échangé des lettres, plus d'un millier en tout. Avant cela, j'avais connu la guerre; je suis allé sur le champ de bataille et j'ai vu beaucoup de mes camarades se sacrifier. C'était leur destin d'y rester, le mien était de survivre. J'ai à présent 94 ans et j'ai donné naissance à des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. Toutes ces épreuves que Dieu m'a infligées, je ne m'en plains pas, je les reçois comme elles sont. Je me suis toujours efforcé d'en venir à bout en me disant qu'il y aurait des jours meilleurs.  
Beaucoup de jeunes couples chinois s'offrent aujourd'hui Notre histoire comme preuve d'amour, de fidélité, de persévérance. Certains me demandent même de dédicacer leur livre comme une forme de bénédiction. Je leur réponds que leur couple ne durera que s'ils apprennent à pardonner les défauts de l'autre.  
Meitang et moi avons été séparés par sa maladie, mais ce livre aujourd'hui nous rapproche. J'ai conservé ses cendres dans une urne et je souhaite qu'on y ajoute les miennes à ma mort. Et j'espère à présent que, dans la prochaine vie qui nous attend, mon âme renaisse dans un corps qui rencontrera à nouveau le sien, et que nous puissions redevenir mari et femme."  
Propos recueillis par Julien Bisson
Notre histoire (Pingru Meitang: wolia de gushi), par Rao Pingru,traduit du chinois par François Dubois, 360p., Seuil, 23€  

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