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Irak : la responsabilité des néoconservateurs

À quand un procès même symbolique ou intellectuel des néoconservateurs ? Le bilan de l’invasion américaine et de la déstabilisation de l’Irak est politiquement accablant, moralement dramatique. La déconstruction de l’appareil d’État, la dissolution de l’armée irakienne, ainsi que l’implosion ethnique et confessionnelle de la société irakienne ont fait le jeu des djihadistes. En cela, l’extrémisme idéologique des néoconservateurs qui ont conçu et justifié la guerre contre l’Irak a engendré ce monstre de l’extrémisme religieux que représente l’État islamique en Irak et au Levant (EEIL).
Qui sont ces idéologues ? Si la guerre d’Irak de 2003 les a révélés au monde, leur apparition sur la scène politique américaine remonte à la guerre froide. Il s’agit au départ d’intellectuels de centre gauche, pour la plupart sociologues et politologues de la Côte-Est des États-Unis. D’abord actifs sur les questions de politique intérieure, les néoconservateurs se sont investis sur les questions de politique étrangère dans les années 1970 et surtout 1980, bénéficiant de toute l’attention du président Ronald Reagan. Farouches anticommunistes, ils s’attaquent à tous ceux qui prêchent une politique d’accommodation et de détente avec l’URSS. L’effondrement du bloc de l’Est- et donc de « l’Empire du mal »- va renforcer leur foi dans l’exceptionnalisme américain et leur esprit messianique. Convaincus que le Bien démocratique doit vaincre le Mal totalitaire, y compris par la force, les néoconservateurs ont jeté leur dévolu idéologique sur l’administration Bush-Cheney et les ont emportés- dans un contexte post-11 septembre- dans une équipée sauvage en Irak.
Aujourd’hui, les remords et autres mea culpa ne sont toujours pas à l’ordre du jour pour les responsables politiques qui ont décidé d’agresser et d’envahir l’Irak au nom de la « guerre contre le terrorisme ». À l’époque, le discours et l’argumentaire belliqueux des néoconservateurs ont été largement repris par les médias anglo-saxons, ternissant par là le mythe du fameux contre-pouvoir journalistique incapable de se départir des pseudo-preuves de la présence d’armes de destruction massive. Malgré le chaos et la tragédie humaine provoqués par cette guerre, les chefs de la coalition anglo-américaine, George W. Bush et Tony Blair, se réfugient dans le déni. En décembre 2005, George W. Bush a certes admis « des erreurs tactiques » et le caractère erroné de « nombre des informations des services de renseignement » ; mais pour mieux réaffirmer que sa « décision de renverser Saddam Hussein était la bonne décision. Saddam était une menace, et le peuple américain et le monde vont mieux depuis qu’il n’est plus au pouvoir »… Pour sa part, Tony Blair, toujours droit dans ses bottes, déclare dans une récente tribune publiée dans Le Monde : « Nous devons nous débarrasser de l’idée que « nous » avons provoqué cette situation. Ce n’est pas vrai. Nous pouvons discuter de savoir si, à tel ou tel moment, notre politique a été bénéfique ou pas ; nous demander s’il est préférable d’agir ou de ne rien faire ? Et il existe quantité d’arguments pour chacune de ces options ». Si l’ancien Premier ministre britannique n’en démord pas, le 18 juin dernier, le député conservateur Peter Tapsell a demandé à la Chambre des communes le procès de M. Blair, en passant par une ancienne procédure parlementaire qui permet de poursuivre un ministre ou premier ministre devant la Chambre des Lords. Dès 2007, le fameux juge espagnol Baltasar Garzon- qui avait cherché à faire juger Augusto Pinochet- estimait que le président américain George Bush et Tony Blair devaient être traduits devant un tribunal pour répondre du conflit irakien. Dans la page réservée aux textes d’opinion du journal The Observer, le lauréat du prix Nobel de la paix Desmond Tutu a également exprimé sa volonté de voir les anciens dirigeants de la Grande-Bretagne et des États-Unis «répondre de leurs actes» devant la Cour pénale internationale. Juridiquement et moralement concevable, cette hypothèse est politiquement exclue. Pis, les néoconservateurs républicains continuent de sévir puisqu’ils accusent Obama d’être responsable de l’actuel fiasco…
En France, le président Jacques Chirac avait refusé de s’aligner sur la position des néoconservateurs. Dans un discours, entré dans l’Histoire, prononcé le 14 février 2003 devant le Conseil de sécurité, son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s’est fait le porte-parole de la Raison. Rejetée également par une majorité de l’opinion publique, l’invasion de l’Irak a malgré tout fait l’objet d’un débat public. Une série d’« intellectuels » germanopratins, au nom de la démocratie et du respect des droits de l’Homme, s’étaient fait les portes-voix de l’invasion de l’Irak, et ce au prix d’une faillite morale qu’ils n’ont jamais reconnu. Parmi les diverses saillies médiatiques lancées à l’époque par ces doctrinaires de la « guerre juste », la tribune de Pascal Bruckner, André Glucksmann et Romain Goupil (Le Monde, 14 avril 2003) restera dans les annales, tant certains passages sont particulièrement cruels pour les signataires: « Quelle joie de voir le peuple irakien en liesse fêter sa libération et… ses libérateurs! (…) Il faudra raconter un jour l’hystérie, l’intoxication collective qui a frappé l’Hexagone depuis des mois, l’angoisse de l’Apocalypse qui a saisi nos meilleurs esprits [contre l'intervention américaine], l’ambiance quasi soviétique qui a soudé 90% de la population dans le triomphe d’une pensée monolithique, allergique à la moindre contestation »… Toujours en quête du « Meilleur des mondes » (titre de la revue des néoconservateurs français), sorte de chamanes modernes, nos « ex-nouveaux philosophes » sont toujours en activité sur les diverses scènes d’une société du spectacle, en attente de leur prochaine vision fantasmagorique et apocalyptique. En attendant, leur silence assourdissant sur la situation dramatique irakienne sonne comme un aveu de culpabilité.
Par Béligh Nabli

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