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A contre-courant..pour humaniser la Méditerranée

Un aperçu du film « A contre-courant », le documentaire relatant l’action menée en Méditerranée par Boats4people pour humaniser la migration..
« Va la proue au vent ! », si le commandant parle, dans un Toscan amusé, à l’Oloferne comme il parle à un ami, c’est que l’Oloferne est un bateau pas comme les autres, s’associant souvent à des idées peu communes.
En juillet 2012, ce deux-mâts en bois, de 23 mètres de longueur, a accueilli à son bord des voyageurs exceptionnels : des activistes internationaux de la liberté de circulation, le père d’un jeune Tunisien disparu en mer, des journalistes et deux réalisateurs venus mémoriser l’aventure, celle de parcourir, en huit jours, les routes migratoires de la Méditerranée dans le sens inverse que celui hasardé par les migrants de la rive sud. C’est ainsi que l’Oloferne servit de scène principale au film « A contre-courant ».
A son bord, les activistes de Boats4People, une coordination euro-africaine d’associations de solidarité avec les boat-people, se sont improvisés navigateurs, en hissant les voiles, en manœuvrant  la barre, en découvrant les équerres nautiques ou en prenant le quart. Mais ils ont surtout beaucoup travaillé. Il fallait préparer les rations de vie pour les éventuels migrants en détresse croisés en route. Il fallait aussi bien arranger les différentes étapes, depuis le port de Cala de’ Medici à Rosignano, jusqu’à Lampedusa, en passant par Palerme, Pantelleria puis Monastir.
Publier des communiqués à destination des journalistes en terre, préparer l’oriflamme de Boats4people et les bannières scandant la liberté de circulation, coordonner avec les garde-côtes italiens habitués plutôt à des voyageurs en sens inverse… Tout a été élaboré avec détermination et enthousiasme, pour que chaque escale de Boats4People soit un cri de colère et de dénonciation contre la politique migratoire européenne « dure et inhumaine ». Celle qui, en usant du bouclier du Frontex et en recourant aux accords de réadmission et à la criminalisation des marins portant secours aux migrants perdus en mer, a transformé la Méditerranée en un immense cimetière où des milliers de migrants perdent la vie au fil des années.
La détermination et l’enthousiasme, l’équipage, Nicanor Haon, le coordinateur de Boats4People, les militants, l’équipe du film et la réalisatrice en ont eu besoin, comme l’eau et l’oxygène. Car il fallait garder le tonus. Il fallait surtout ne pas fléchir dans des moments où la mort prenait le dessus sur la vie : dans les yeux endoloris du père tunisien, dans les trachées sèches des migrants survivants, dans le recueillement silencieux des jeunes Italiens et Européens, dans l’éclat des lampions et des photophores qu’ils ont allumés en souvenir de migrants chéris sans jamais être connus, devant cet acte de décès, long de plusieurs mètres qu’on a tendu par terre, au port «  la Cala » à Palerme, et qui liste des milliers de morts et de disparus en mer.
Ces moments compilés au gré de l’aventure, de port en port, de la rive nord à la rive sud, sont cadencés par les messages des activistes, par leurs histoires, par leurs combats hargneux, par leur rage stridente devant la continuité de « l’hécatombe » et par l’absurdité des lois et des politiques qui font du canal de Sicile – large à peine de 145 kilomètres – l’un des abysses les plus vastes et les plus mortels de la planète.
La caméra de la réalisatrice Nathalie Loubeyre et de son équipe est tellement subtile que les transitions entre les moments du film ne se font pas sentir. La mélodie chaude d’un Oud tunisien, mêlée à la voix des vagues, aux murmures des dauphins et à la respiration de l’Oloferne, servant tous de fond sonore pour le film, ont également réduit les passages d’une séquence à l’autre. Mais il est des moments dans le film où tout s’arrête. Le cadrage, le son, la technique… tout s’éclipse devant le silence. Car, à Lampedusa, sur la plage déserte bourrée d’épaves de barques tunisiennes et libyennes, devant la dépouille rouillée d’un navire où l’on a accroché une chaussure rose d’une enfant noyée, face aux remparts muets du Contrada Imbriacola, le centre d’enfermement et de détention de migrants, dit « centre de premiers secours et d’accueil », dans les allées du cimetière marin de l’île, où la mort unit des milliers d’anonymes, non secourus, non identifiés, reposant sous des épitaphes presque identiques, ou encore devant la « Porte de l’Europe » qui surplombe l’île, le silence l’emporte, et les mots se perdent devant autant de démence et d’injustice.
Mais autant l’hécatombe de la Méditerranée et l’état de non-droit qui y règne sont insoutenables et navrants, autant « À contre-courant », le film et l’aventure, est révolté et tenace.
Pour dissiper la torpeur de la mort en mer, les militants de Boats4People ont ainsi choisi le défi, l’art et la vie. Leur périple, leur film et leurs carnets de route sont autant un coup de poing à la face des politiques absurdes des deux rives, qu’un bouquet de fleurs lâché dans les vagues cristallines de la Méditerranée.
Par Hafawa Rebhi
Le DVD est disponible en prévente sur le site : www.acontrecourant-lefilm.com
Langues disponibles : français, anglais, arabe, italien, allemand

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