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Pologne : L’érosion de l’état de droit nuit aux femmes et aux personnes LGBT

 

Les attaques continues du gouvernement polonais contre l’état de droit nuisent aux droits des femmes et des personnes LGBT et nécessitent une action plus ferme de la part de l’Union européenne, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Depuis que le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) est arrivé au pouvoir en Pologne en 2015, le gouvernement n’a eu de cesse de porter atteinte  aux droits des femmes et des personnes LGBT dans le cadre d’attaques plus larges contre l’état de droit. Le gouvernement a délibérément sapé l’indépendance du pouvoir judiciaire et la liberté des médias et a cherché à faire taire les groupes indépendants de la société civile, les activistes et ceux qui protestent contre ses politiques, notamment devant les tribunaux.

« La crise de l’état de droit en Pologne mine les institutions démocratiques et porte gravement atteinte aux protections des droits des personnes, notamment des femmes et des personnes LGBT », a déclaré Lydia Gall, chercheuse senior auprès de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « L’Union européenne devrait prendre au sérieux ses responsabilités envers le peuple polonais, et intensifier ses efforts pour stopper la campagne dévastatrice du gouvernement contre l’état de droit. »

Les recherches menées par Human Rights Watch depuis 2020 montrent les conséquences néfastes de l’affaiblissement de l’état de droit perpétré par le gouvernement polonais, et comment le détournement politique des tribunaux et l’utilisation du système judiciaire pour faire obstacle à la société civile ont porté atteinte aux droits des femmes, des jeunes filles et des personnes LGBT. Human Rights Watch n’a reçu aucune réponse aux lettres adressées au ministère de la Justice et au ministère de l’Intérieur en novembre 2022, résumant ses préoccupations et sollicitant des commentaires.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec quatre activistes et organisations LGBT et onze représentants d’organisations de défense des droits des femmes en Pologne, ainsi que six personnes LGBT qui ont personnellement subi les effets néfastes de la campagne anti-LGBT menée par le gouvernement.

Les attitudes hostiles à l’égard des personnes LGBT ont trouvé leur pleine expression en 2019, lorsque des régions et municipalités ont commencé à se déclarer « sans idéologie LGBT » ou ont adhéré à une charte de la famille soutenue par le gouvernement, appelant à l’exclusion des personnes LGBT de la société polonaise. Plus de 90 autorités régionales et municipales se sont désormais déclarées « sans idéologie LGBT » ou ont signé ladite charte.

En octobre 2020, alors même que la loi polonaise sur l’avortement était déjà parmi les plus restrictives d’Europe, le gouvernement s’est servi d’un tribunal politiquement compromis pour effectivement interdire l’accès aux avortements légaux, obligeant de nombreuses femmes et jeunes filles à se rendre à l’étranger pour interrompre leur grossesse.

En octobre, le groupe Avortement sans frontières a signalé qu’entre octobre 2021 et octobre 2022, les demandes d’aide des femmes et jeunes filles en Pologne pour accéder à l’avortement ont explosé. Des activistes ont décrit le sentiment initial de détresse et de désespoir de celles, femmes et jeunes filles, qui disaient qu’elles pourraient désormais être obligées de mener à terme des grossesses non désirées. Dans de nombreux cas, les activistes ont réussi à aider des femmes à mettre fin à leur grossesse, souvent dans des circonstances difficiles, notamment quand elles devaient se rendre à l’étranger.

On sait qu’au moins cinq femmes sont mortes après que des médecins n’ont pas mis fin à leur grossesse malgré des complications qui mettaient leur santé et leur vie en danger.

Dans le cadre des premières poursuites connues en Europe à l’encontre d’une activiste de l’avortement pour avoir fourni des pilules d’interruption de grossesse, les procureurs ont accusé Justyna Wydrzyńska de l’Abortion Dream Team d’avoir aidé une femme à avorter et d’avoir illégalement « commercialisé » des médicaments sans l’autorisation requise. Les audiences dans cette affaire ont été ajournées à janvier 2023.

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice en Pologne, les activistes LGBT ont subi des pressions et ingérences de la part des autorités en raison de leur activisme pacifique, notamment des arrestations et des poursuites pénales, certaines au titre des lois sur le blasphème. Les activistes LGBT ont également signalé que les autorités locales avaient recours à ce que l’on appelle les Poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP) pour gêner et museler leurs activités.

Outre le fait qu’elles nuisent au fonctionnement indépendant de la société civile en violation manifeste des règles de l’état de droit, ces mesures ont contribué à créer un climat hostile aux personnes et à l’activisme LGBT en Pologne.

Bart Staszewski, un activiste LGBT polonais de premier plan, a déclaré à Human Rights Watch en juin 2021 qu’il avait signalé à plusieurs reprises à la police des menaces à son encontre, notamment des menaces de mort, mais qu’aucune mesure sérieuse n’avait été prise pour enquêter. Ces menaces faisaient suite à sa campagne sur l’« Atlas de la haine », fondée par d’autres activistes, qui comprenait une carte interactive délimitant les zones « sans idéologie LGBT » en Pologne, à laquelle était associé un projet photographique intitulé « Zones », réalisé par Staszewski.

L’utilisation abusive du Tribunal constitutionnel polonais pour promouvoir l’agenda politique du gouvernement au détriment des droits ne s’est pas arrêtée à l’interdiction de l’avortement, a déclaré Human Rights Watch. En 2020 et 2021, le gouvernement a demandé au Tribunal de se prononcer sur la compatibilité de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui protège les droits dans les États membres du Conseil de l’Europe, avec la Constitution polonaise, dans le but de justifier le retrait de la première et d’ignorer les décisions contraignantes de la seconde. En mars, le Tribunal a jugé la CEDH partiellement incompatible avec la constitution polonaise.

Les institutions de l’UE ont le devoir de demander des comptes à la Pologne pour son bilan lamentable en matière d’état de droit, qui a porté atteinte à la vie des femmes, des jeunes filles et des personnes LGBT, a déclaré Human Rights Watch. La Pologne devrait garantir l’accès à un avortement sûr et légal, et cesser ses attaques et poursuites à l’encontre des activistes LGBT et des droits des femmes.

Le Parlement européen s’est prononcé contre la décision de la Pologne d’interdire l’avortement et contre son annonce de se retirer de la Convention d’Istanbul. En septembre 2021, la Commission a suspendu l’octroi de fonds accordés à cinq régions polonaises, à moins qu’elles ne reviennent sur leurs déclarations anti-LGBT, ce qui a entraîné l’abandon de ces déclarations par quatre de ces régions. En juillet 2021, la Commission a ouvert une procédure d’infraction à l’encontre de la Pologne en raison de l’impact des résolutions relatives aux zones dites « sans idéologie LGBT ». Cependant, la Commission européenne et les États membres de l’UE n’ont pas abordé les implications du recul de l’état de droit sur les droits des femmes. La Commissaire européenne à l’égalité a critiqué la décision du Tribunal constitutionnel sur l’avortement en novembre 2021, mais a déclaré que l’UE n’avait aucune autorité pour agir sur les droits reproductifs.

La Commission européenne devrait déclencher des procédures d’infraction ou étendre les infractions existantes pour remédier à l’érosion de l’état de droit qui met en péril les droits des femmes et des personnes LGBT. Elle devrait également publier une mise à jour de sa proposition motivée de décembre 2017, qui a lancé un examen dans le cadre de la procédure de l’article 7, le mécanisme basé sur le traité de l’UE qui concerne les États de l’UE mettant en danger les idéaux démocratiques, en vue d’étendre l’examen de l’UE aux développements survenus depuis décembre 2017, notamment l’utilisation d’un Tribunal constitutionnel compromis dans le but de porter atteinte aux droits des femmes et aux lois et politiques qui portent atteinte aux valeurs de l’UE, comme la non-discrimination et la tolérance.

Les commissaires européens devraient publiquement condamner les attaques et le harcèlement judiciaire contre les activistes et les organisations de défense des droits des femmes et des droits des personnes LGBT en Pologne, ainsi que le soutien du gouvernement à ces attaques ou son incapacité à les dénoncer, comme des violations des valeurs de l’UE liées aux atteintes à l’état de droit.

Le Conseil de l’UE devrait poursuivre son examen, au titre de l’article 7, du risque que les actions du gouvernement polonais font peser sur les valeurs de l’UE, en adoptant des recommandations spécifiques en matière d’état de droit et en organisant un vote pour déterminer qu’il existe un risque clair de violation grave des valeurs de l’UE en Pologne. La Suède, qui assurera pour six mois la présidence tournante du Conseil de l’UE à partir de janvier 2023, devrait diriger ces efforts.

« Les institutions de l’UE devraient poursuivre le processus de l’article 7 et utiliser les pouvoirs d’application de la loi qu’il confère pour protéger les droits des personnes touchées par les attaques de la Pologne contre l’état de droit », a déclaré Lydia Gall. « Dans un État membre de l’UE en 2022, les femmes ne devraient pas avoir à faire face à un refus d’avortement, les personnes LGBT ne devraient pas être confrontées à l’hostilité pour ce qu’elles sont, et ni les unes, ni les autres ne devraient risquer d’être punis lorsqu’ils ou elles défendent leurs droits. »

World Opinions - Human Rights Watch

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