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Arts . « Connexions-Bacon Vélasquez », sur France 5 : les 45 déclinaisons du portrait d’un pape

 « Connexions » consacre un volet de sa série à la fascination de l’artiste irlandais pour un tableau représentant Innocent X réalisé par le peintre espagnol en 1650.

Autant prévenir, cet épisode de l’intéressante série « Connexions », qui confronte sur un même thème des peintres de différentes époques, a un début glaçant. Il commence par un florilège de cérémonies nazies dans l’Allemagne hitlérienne, qui alterne avec les bouches ouvertes de déportés assassinés. Le rapport avec Diego Vélasquez ? Aucun, sauf peut-être cette question, pertinente : « Que serait un pouvoir sans images pour le servir ? » Le portrait que fit le peintre du pape Innocent X, à la demande du pontife, en 1650, en est l’illustration. « Trop vrai ! », commenta le commanditaire… C’était aussi l’avis de Francis Bacon, qui le tenait pour « un des grands tableaux du monde ! ».

Lui non plus n’a pas de rapport évident avec le préambule. Sauf que, né en 1909, il a eu tout loisir de côtoyer la barbarie nazie. Il a vécu à Berlin dans les années 1920, a subi le Blitz à Londres durant la guerre. La violence, il la connaît, et on peut même penser qu’elle le fascine, mais il a plutôt tendance à la considérer par le biais de photographies. Plus que les images des camps de la mort, celles extraites du film d’Eisenstein Le Cuirassé Potemkine (1925), où une femme poussant un landau reçoit une balle dans l’œil et dont la vie s’achève sur un cri muet, serviront de modèle à toutes ses figures à la bouche grande ouverte.

A commencer par celle du pape. Les lèvres de la version de Vélasquez sont pincées. Celles des quelque 45 déclinaisons qu’en fera Bacon sont largement écartées sur des rangées de dents pas toujours parfaitement alignées. L’un des premiers tableaux qu’il peint sur ce thème, en 1946, représente moins Innocent X que Pie XII, affirme le documentaire, et la ressemblance est telle qu’on est tenté de le croire. Il est intitulé Paysage avec pape dictateur et accumule des symboles liés à l’Allemagne nazie : pour son silence durant la Shoah, Pie XII fut surnommé « le pape d’Hitler ».

« Représenter la brutalité du fait »

La thèse soutenue par les réalisatrices Eve Ramboz et Annie Dautane, appuyée sur l’excellent travail de recherche de Valérie Coudin, rédactrice en chef de la revue Grande Galerie, publiée par le Musée du Louvre, est dérangeante. Mais elle permet d’aller plus avant dans l’œuvre de Bacon (à défaut de creuser celle de Vélasquez). Bacon qui disait vouloir « peindre le cri plutôt que l’horreur » ou « représenter la brutalité du fait ». « La vie est violente, la mort aussi. La peinture doit l’être également », commente le critique Michael Peppiatt, qui fut un ami de Bacon.

Et de rappeler que l’artiste, outre l’histoire récente, s’inscrivait dans un courant plus long de l’histoire de l’art, qui, hormis les crucifixions, n’est pas avare de martyrs, de meurtres, de massacres, de supplices et de tortures diverses. Chairs meurtries, ouvertes, offertes, qui sidéraient littéralement Bacon : « Quand je vais chez le boucher, disait-il, je suis toujours surpris de ne pas être à la place de l’animal. » De là à faire hurler un pape…

Connexions Bacon Vélasquez, d’Eve Ramboz et Annie Dautane (Fr., 2020, 26 min).

Par Harry Bellet - Le Monde Culture

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