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L'effrayante leçon tunisienne

La Tunisie a souvent représenté pour le Maghreb un modèle à suivre. Nos cousins carthaginois ont été en avance sur tout le monde quand il s’agissait de réformer la société, de la moderniser, de la rendre plus juste.
Mais depuis 2011, un certain malaise étreint les amis de la Tunisie. Se débarrasser de Ben Ali et de sa shampouineuse de femme – bravo; mais qui mettre à la place? La question n’est pas simple. Un chef d’Etat, ce n’est pas rien. Il représente le pays et la nation à l’ONU, à l’UA, dans tous les sommets; il prend le thé avec la reine Elizabeth sans commettre d’impair; il rencontre le pape avec componction et hauteur d’âme; il apprivoise l’ours russe et séduit le pygargue américain; il s’entretient dignement avec l’empereur du Japon, qui descend de la déesse du Soleil; c’est tout juste s’il ne guérit pas les écrouelles et ne jouit pas du don d'ubiquité.
Or avez-vous vu, amis, qui sont les deux messieurs qui s’affronteront au deuxième tour de l'élection présidentielle tunisienne? Je ne les connais pas plus que vous mais enfin l’un est un prof psychorigide connu de sa seule mère et l’autre un homme d’affaires ambigu qui dort en prison. On croit rêver.
Bonne chance à nos cousins. Mais en suivant tout cela sur la télé tunisienne, je fus pris d’effroi. Si nous avions à choisir notre chef d’État de la même façon, qu’est-ce que cela donnerait?
Imaginez chez nous un second tour entre Abdelmoula, semsar enrichi de Casa, et Bouazza, instituteur borné de Fqih Ben Salah (où j’ai des amis que je salue chaleureusement ici). Un second tour entre un semsar un peu louche et un instit’ qui croit que la Terre est plate! Brrr…
On pourrait imaginer d’autres configurations: elles sont toutes effarantes. Bien sûr, je ne vais pas utiliser de vrais noms –je ne veux faire de peine à personne. Je m’interdis donc d’imaginer un match entre Chabat et Benkirane, par exemple, malgré les fabuleuses possibilités pyrotechniques qu’un tel choc recèle. Mais voici quelques duels possibles pour choisir le chef d’État:
El Nino, enrichi par le trafic de kif, possesseur d’un club de foot et d’un parti politique, contre Abou Kalash, terroriste repenti, rhéteur volubile qui veut nous renvoyer à l'âge du swak et qui a un million de followers sur les réseaux sociaux.
La poétesse Yto de Khemisset, qui considère que les descendants des Banou Hilal devraient être renvoyés au Yémen, contre l’élégant Ali, fils d’une grande famille de Fès et amateur de musique andalouse. Les partisans de l’un accepteraient-ils l’autre comme Président(e)?
Bouchta, promoteur immobilier riche d’avoir déraciné mille palmiers autour de Marrakech, contre Jmi’a, sorcière fameuse devenue on ne sait comment (ou plutôt: on sait très bien comment: à coups de philtres et d'infâmes brouets) patronne d’un des partis sortis jadis de la cocotte-minute de Driss Basri.
Qaddour, ex-ferrailleur, ex-zingueur-couvreur, ex-receleur de cuivre volé à l’ONCF, devenu riche à rouler en Rolls, contre T’hami, le gars qui a la clé (moul’ ssarrout’) d’un marabout douteux dans une banlieue surpeuplée –d'où d’innombrables séides.
Allal l’qadouss (vous vous souvenez de ce gars devenu célèbre pour avoir plongé dans un égout?), plébiscité par les bidonvilles et les villes bidon, contre un tribun sans programme mais qui fascine les foules parce qu’il cite al-Mutanabbi avec des mots très compliqués que personne ne comprend.
J’arrête là. Continuez, amies lectrices, amis lecteurs, la liste des seconds tours de cauchemar que nous aurions pu avoir…
Et remercions le Ciel de nous avoir épargné cela.
Fouad Laroui


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