Pygmées en lutte (2/4). Rivières, forêts vierges, ponts, villages, lieux sacrés : grâce au GPS, Baka et Bagyeli se sont lancés dans le quadrillage leurs territoires pour mieux les protéger.
Dans la cour d’une maison en terre battue construite en plein cœur de Nomédjoh, un village Baka situé dans la région Est du Cameroun, une dizaine d’hommes, de femmes et d’enfants forment un cercle. Au centre, ils ont disposé à même le sol cinq cartes représentant leur territoire. Les yeux rivés sur ces documents abîmés par le temps et la moisissure, ils se courbent à tour de rôle et pointent du doigt « la rivière », « la forêt encore vierge », « le pont »… A y regarder de plus près, on ne voit pourtant que des points, des lignes, des légendes ou encore des chiffres colorés.
A Nomédjoh, dans la région Est du Cameroun, les habitants revisitent les cartes établies par des Pygmées spécialement formés à la cartographie.
A Nomédjoh, dans la région Est du Cameroun, les habitants revisitent les cartes établies par des Pygmées spécialement formés à la cartographie.
« Ces cartes représentent les 1 950 hectares de notre forêt. C’est notre plus grande richesse », explique avec fierté Dieudonné Tombombo, le président de la forêt communautaire. « Nous gérons nous-mêmes notre forêt qui est pour l’homme Baka un supermarché, un hôpital et une banque, renchérit près de lui, René Ndameyong, 40 ans. Avant, on n’avait droit à rien. Les Bantous nous disaient que tout leur appartenait, alors que les peuples autochtones sont les premiers habitants de la forêt. »
D’après ce père de deux enfants au sourire contagieux, les Baka ont longtemps été chassés des forêts, interdits de chasse, de pêche ou encore de pratiquer des activités champêtres à certains endroits. L’introduction au début des années 2000 de la cartographie participative a permis aux communautés de mieux faire entendre leur voix. Et les peuples des forêts en ont profité.
Validations des populations
En 2011, l’association Rainforest Foundation, qui lutte pour la protection des peuples autochtones, a lancé l’initiative Mapping for Rights, ce qui a permis de former plus de 7 000 cartographes locaux au Cameroun et en République démocratique du Congo (RDC), et ainsi de cartographier plus de 800 communautés pour une superficie de 5 millions d’hectares. Avec l’appui des organisations non gouvernementales (ONG), il s’agit le plus souvent d’établir des cartes pour faire barrage à l’installation de projets – routes, aires protégées, plantations agro-industrielles – menaçant la vie des communautés par l’accaparement du foncier et les restrictions d’accès aux ressources naturelles.
Les communautés se réunissent et identifient ensemble les noms des lieux sacrés, rivières, zones de pêche, de chasse, de ramassage de produits forestiers non ligneux, leurs champs, tracent les contours de leur village… Une fois les informations validées par toute la communauté (et souvent les villages voisins), des hommes formés à la cartographie vont en forêt, armés de systèmes de localisation par satellite (GPS) pour le géoréférencement des points importants. Ces données GPS sont traitées par ordinateur. Des documents provisoires sont établis, et soumis à la validation des populations avant que les cartes définitives soient établies.
Après l’établissement de ces cartes, la population de Nomédjoh a « pris confiance et n’a plus eu peur, car nous avions la preuve de ce qui nous appartenait », se souvient René Ndameyong. « Les autorités l’ont validée et aujourd’hui nous sommes un village avec un chef nommé par le gouvernement ». Depuis 2007, Nomédjoh s’est aussi vu attribuer, à sa demande, une forêt communautaire. Au Cameroun, la foresterie communautaire est un processus par lequel l’Etat cède une partie (maximum 5 000 hectares) à une communauté qui a alors la possibilité de l’exploiter.
Grâce à la vente du bois, Nomédjoh a construit trois studios pour les enseignants de l’école publique, a pu tôler une salle de classe, équiper quelques maisons d’énergie solaire. « Notre but principal est de protéger la forêt, tout faire pour qu’elle ne finisse pas puisqu’elle est notre vie », assure Dieudonné Tombombo.
« Prouver l’impact sur nos sites »
Dans le sud du pays, Assok offre un autre exemple d’une initiative réussie. Martin Abila, guérisseur traditionnel, vient officiellement d’être désigné chef du village par le gouvernement, « une première dans toute la région pour un autochtone ». Lors de la cartographie participative qui a permis au village d’être reconnu, Martin a constaté que plusieurs zones de la forêt avaient été détruites par des exploitants. Il cherche désormais des financements pour « créer une pépinière et reboiser ».
« La cartographie participative est un puissant outil qui permet de mener des plaidoyers pour les droits des communautés auprès des autorités, des groupes agro-industriels, miniers ou de la communauté internationale », explique Samuel Nguiffo, coordonnateur du Centre pour l’environnement et le développement (CED), une ONG locale.
Lors de la construction du pipeline entre le Cameroun et le Tchad qui traversait les territoires Bagyeli, ces derniers n’ont pas été consultés. Mais, grâce à la cartographie participative effectuée en 2007 en collaboration avec les Bantous, « on a pu prouver l’impact sur nos sites. Jusqu’à aujourd’hui, cette cartographie nous sert, car les Bantous menacent de nous chasser sans passer à l’acte. On a des cartes, ce sont nos preuves », sourit Joachim Gwodog, le chef du campement Logdiga, dans la région du Sud.
Ces feuilles de papier « permettent de montrer qu’un village ou un campement existe, que des hommes y vivent, possèdent des ressources, des vestiges, des sites traditionnels, autant d’éléments concrets difficiles à mettre de côté », résume Marie Ba’ane, directrice de l’ONG Appui à l’autopromotion et à l’insertion des femmes, des jeunes et désœuvrés (Apifed) . Si ces cartes ne sont pas encore officiellement reconnues par l’administration camerounaise, elles sont de plus en plus prises en compte.
Freedom1 / Monde Afrique
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