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#Livres - Tahar Ben Jelloun nous parle de son dernier roman, "L’insomnie", une fable jubilatoire

Avec humour, l'auteur décline au fil des pages une solution radicale contre les affres de l'insomnie.


LITTÉRATURE - Rencontre avec Tahar Ben Jelloun qui sort “L’insomnie” chez Gallimard, un roman tragi-comique, où le narrateur se transforme en serial killer quand il découvre que pour bien dormir, il doit tuer quelqu’un... Une fable jubilatoire qui permet au passage à l’écrivain de dénoncer les hypocrisies d’une certaine société marocaine.
HuffPost Maroc: D’où vous est venue l’idée de ce thriller déjanté?
Tahar Ben Jelloun: Cela fait longtemps que je voulais écrire un roman inattendu, quelque chose qui ne ressemble pas à ce que j’écris d’habitude et qui correspond plus à mon tempérament léger ayant recours à l’humour. Le problème grave de l’insomnie dont souffre une bonne part de l’humanité est ainsi traité de manière déjantée. Il fallait bien en rire et la considérer comme un mal qui fait du bien.
L’humour vous va très bien. Pourquoi ne pas en user plus souvent ?
Merci de l’avoir constaté ; dans certains de mes romans, notamment “Le bonheur conjugal”, il y a aussi un peu d’humour et de dérision.
Souffrez-vous d’insomnie comme votre personnage principal?
J’ai été longtemps un insomniaque malheureux. J’avais ce que j’appelle des insomnies sèches, c’est-à dire où je ne pouvais faire rien d’utile, ni lire ni écrire, ni regarder un film. J’ai souffert parce que je refusais de prendre des somnifères, dangereux pour la santé. Mais la dette du sommeil est aussi dangereuse que les médicaments. Avec le temps et l’âge, j’ai réussi à dompter mon insomnie et depuis la parution du roman, je dors mieux.
Quelles sont vos astuces pour la combattre?
Pour combattre l’insomnie, il ne faut surtout pas s’énerver ou s’obstiner. Il faut ruser, nettoyer la chambre de tout ce qui peut déranger le sommeil, pas de télé, pas d’ordinateur, pas de téléphone, pas trop de choses. Il ne faut se mettre au lit qu’au moment où vous sentez que le sommeil vous appelle. En fait c’est comme un train (c’est pour cela que le dernier chapitre est dominé par la présence d’un train) ; il faut le prendre à l’heure, jamais avant ou après.
Ça vous embête finalement de passer presque un tiers de votre vie à dormir?
Quand on découvre qu’on passe le tiers de notre vie à dormir, on se révolte. Tant de temps perdu! C’est là une des origines de l’insomnie. Il faut l’accepter et ne pas trop se lamenter.
Le narrateur, bien que scénariste et “hâteur de mort”, présente de nombreuses similitudes avec vous…
Non, le narrateur est différent de moi. Il est parfois très malin, astucieux, devient un tueur intelligent. Moi je suis incapable de chasser une mouche. Je mets dans ce personnage ce que je ne pourrai jamais être ou faire. C’est le propre des romanciers.
Vous donnez au passage quelques coups de canifs à la religion. Ne craignez-vous pas de vous faire des ennemis?
Je n’attaque jamais les religions ; je dénonce les hypocrites qui utilisent la religion pour leur besogne politique ; je décris leurs méthodes et leurs bassesses. Le Maroc est menacé par la propagande islamiste, ce qui n’a rien à voir avec l’islam. J’ai appris que le PJD a installé dans le pays 55.000 associations! C’est énorme. Avec ça, ils feront ce qu’ils veulent aux prochaines élections.
Vous abordez également le thème de la sexualité et du désir masculin à partir d’un certain âge de façon assez directe. Êtes-vous devenu sans filtre?
Je parle de la sexualité directement parce que cela fait partie de la vie et que dans un roman, raconter une histoire d’amour et de sensualité est pour moi quelque chose de normal. Ceux qui me le reprochent sont souvent des hypocrites. Quand j’évoque vers la fin du roman la sexualité du banquier qui a plus de 90 ans, cela fait partie du personnage et de l’intrigue.
La libération sexuelle au Maroc, fiction ou réalité?
Au Maroc la libération sexuelle est dans les faits mais il ne faut pas en parler où la montrer. On peut tout faire à condition de se cacher! C’est indigne et stupide. Je ne suis pas non plus pour l’exhibitionnisme. Être pudique ne veut pas dire avoir honte de ses pratiques. Il y a une évolution dans les mentalités grâce aux réseaux sociaux, mais elle est encore timide et pas assez franche.
Ce livre pose également la question de la fin de vie, de la maladie, de la dignité. Ce sont des sujets qui vous préoccupent?
Dans ce roman que vous avez trouvé drôle et léger, je pose effectivement le problème grave de la fin de vie et du fait de s’en aller dans la dignité ; il est difficile d’en débattre ; en France, l’euthanasie n’est pas autorisée. Au Maroc, la question n’est même pas posée.
Quelle est votre position sur l’euthanasie?
Difficile de généraliser. Quand on est en bonne santé et heureux, on a un discours à ce propos, mais quand la réalité de la maladie et de la mort arrive, le discours change. Cela doit rester au niveau personnel et chacun se débrouille avec ses angoisses. Difficile de décider à la place des autres. Mais on peut en parler.
Y a-t-il une morale à retenir de cette fable tragi-comique?
Pas de morale si ce n’est qu’il faut préparer son départ, car l’insomnie, c’est la peur de la mort.
Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours?
Mes nuits sont souvent peuplées de rêves étranges ; je préfère le jour, au moins le jour ne ment pas ; la nuit ne fait que me mentir et me menacer! Vous vous rendez-compte, dormir m’a dit un médecin c’est accepter de tomber dans le trou, accepter de mourir, accepter l’éventualité de ne pas se réveiller!
Rédaction du HuffPost Maroc

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