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Pourquoi les autorités égyptiennes s’acharnent-elles sur le photojournaliste Shawkan?

Arrêté le 14 août 2013, alors qu’il couvrait les manifestations de la place Rabaa, le photojournaliste égyptien Shawkan risque aujourd’hui la peine de mort. Témoin gênant d’une répression des plus violentes, Shawkan subit depuis près de 5 ans l’acharnement des autorités égyptiennes.
Ce 2 mai, Mahmoud Abou Zeid, connu sous le pseudonyme deShawkan, candidat soutenu par Reporters sans frontières (RSF), reçoit le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano. Quelques jours plus tôt, l’annonce de sa nomination avait fait vivement réagir les autorités égyptiennes, qui regrettaient de voir ce prix aller à un homme “accusé de meurtre et de vandalisme”.
Près de cinq années derrière les barreaux, cinq années de trop ! déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Shawkan ne peut payer plus longtemps le prix du black out sur la presse décidé par les autorités égyptiennes. C’est un message clair et net que leur adressent les Nations unies en remettant ce Prix prestigieux à Shawkan: sa détention est arbitraire, il doit être libéré sans délai. Shawkan est passé de l’ombre à la lumière, chaque jour supplémentaire qu’il passera en prison assombrira encore le bilan liberticide et autocratique du président Al-Sissi”.
Des journalistes indésirables, ce 14 août 2013, place Rabaa
Le 14 août 2013, place Rabaa, à la périphérie du Caire, quand les forces de l’ordre ont violemment dispersé un sit-in d’opposants au renversement des Frères musulmans, les journalistes étaient de toute évidence indésirables et les médias censés se contenter des informations et des images officielles. Les manifestants pacifiques n’avaient officiellement rien à craindre. Par la suite, les autorités égyptiennes ont admis que des centaines de civils ont été tuésLa police a tiré sur des manifestants non armés. Selon Human Rights Watch (HRW), 817 personnes sont mortes dans la seule évacuation de la place Rabaa. Ce jour-là, trois journalistes ont été tués et de nombreux autres journalistes, professionnels ou non, ont été arrêtés.
D’après des informations recueillies par RSF, Shawkan s’était rendu à Rabaa à l’aube, à la demande de son agence de photographie, Demotix, en compagnie d’un artiste-photographe indépendant français, Louis Jammes (Cf. lettre ci-dessous). Lorsque l’attaque a commencé, les deux photographes se sont déplacés du côté des forces de l’ordre pour ne pas se retrouver sous leurs tirs. Ils ont continué à prendre des photos. Le reporter américain Michael Giglio, qui travaillait à ce moment là pour le site d’information The Daily Beastse souvient avoir observé la situation et pris également des photos de son téléphone pendant un certain temps, lui aussi du côté des forces de l’ordre. Et puis, sans comprendre pourquoi, puisqu’ils avaient jusque-là travaillé au vu et au su des forces de l’ordre, tous les trois ont soudainement été interpellés.
Les policiers savaient très bien que nous n’étions que des journalistes, et ils semblaient contents de nous avoir arrêtés, estime Michael Giglio. Lorsqu’ils m’ont frappé, ils en ont profité pour prendre mon ordinateur et mon téléphone”. Un journaliste d’Al Jazeera, Abdullah al Shami, également arrêté à Rabaa ce même jour estime de son côté que “les autorités voulaient empêcher quiconque de rapporter une version des événements différente de la leur”.
Emprisonner Shawkan, freelance et égyptien, était peu embarrassant pour l’Egypte
Louis Jammes et Michael Giglio, les deux confrères étrangers de Shawkan, sont libérés le jour même. Mais Shawkan, qui est égyptien, ne bénéficie pas du même traitement. Aucun grand média international ne réclame sa libération. Son agence, Demotix, basée à Londres et aujourd’hui disparue, a beau avoir confirmé que Shawkan était bien accrédité auprès d’elle, sa lettre adressée le 24 janvier 2014 au parquet égyptien n’a visiblement pas eu assez de poids. (Cf. lettre ci-dessous).
Pour protester contre son arrestation, le journaliste d’Al Jazeera Abdullah al Shami entame de son côté une grève de la faim. Aujourd’hui, alors qu’il vit désormais en exil, le journaliste estime que c’est ce qui lui a permis d’être remis en liberté en 2014. Le régime cherchait encore, cette année-là, à asseoir sa légitimité devant la communauté internationale. Shawkan, lui, n’a pas pu bénéficier de cet impact médiatique et politique à l’étranger.
Un journaliste indépendant est forcément suspect
A partir du moment où un journaliste ne critique pas un sujet, les autorités égyptiennes le soupçonnent de complaisance, voire de complicité. Les journalistes n’ont d’autre choix que de s’aligner sur la version officielle du régime. Toute couverture contraire à ce principe est considérée comme un acte de rébellion. Ce présupposé explique aussi partiellement pourquoi Shawkan, cinq après son arrestation, est toujours en en prison. Comme ses quelques 700 autres co-accusés, il est soupçonné de collusion avec les Frères musulmans, qualifiés de terroristes par les autorités. Le fait que Shawkan ait publié, à l’été 2013, sur sa page Facebook, des propos qui montraient son profond désaccord avec la Confrérie n’a visiblement jamais été pris en compte.
Talentueux, Shawkan âgé alors de 25 ans est encore peu connu au moment de son arrestation. La communauté des journalistes égyptiens, avertie trop tard, n’a pas pu se mobiliser assez tôt pour lui éviter d’être formellement inculpé dans ce procès de masse où les accusés comparaissent pour meurtre et vandalisme.
Depuis, sa libération a été réclamée avec force localement et internationalement. Des ONGs comme RSF et Amnesty ont fait campagne pour sa libération. RSF a écrit aux autorités égyptiennes à son sujet, sans réponse jusqu’à présent. Le mois dernier, une campagne lancée par RSF, #MyPicForShawkan, a suscité une mobilisation mondiale pour le sort du photographe.

Qui est Shawkan?

Shawkan est un pseudonyme. Passionné de photographie, Mahmoud Abou Zeid obtient en 2012 un diplôme de photographie dans une académie appartenant à un média égyptien (Al Akhbar). Il y avait d’ailleurs exposé ses photos de la révolution et connu un franc succès. Freelance, il collabore à l’agence Demotix, qui vend ses photos à des médias renommés comme Time Magazine ou Die Zenit.

Il a 25 ans quand il est arrêté, ce 14 août 2013. Il est depuis privé de liberté. Le Groupe de travail des Nations unies a estimé que sa détention était arbitraire. Depuis mars 2018, en raison d’un réquisitoire unique pour les plus de 700 personnes jugés dans la même affaire, il risque la peine de mort. Sa famille a déclaré à RSF “vivre un cauchemar”. Son frère Mohamed a confié à RSF que “l’état psychologique de Shawkan avait affecté sa condition physique. Il souffre d’anémie et a dû être transféré plusieurs fois à l’hôpital de la prison”. Et d’ajouter : ce qui nous déprime, c’est qu’on a espéré à plusieurs reprises sa libération, en vain. La bonne humeur se fait rare, chez nous. C’est lui qui nous faisait rire.”

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