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Cinéma - « Les Bienheureux » : À Alger, on marche en regardant la ligne d'horizon. Vidéo

VIDÉO. Nadia Kaci et Lyna Khoudri, les deux principaux interprètes du film de Sofia Djama, ont répondu aux questions du Point Afrique. Entretien.
Voilà un film, Les Bienheureux, qui doit sa forte dimension dramatique à ses deux actrices principales, Nadia Kaci et Lyna Khoudri. Si Lyna Khoudri, tout juste 25 ans, a reçu un prix amplement mérité d'interprète féminine, le jury aurait gagné à distinguer aussi Nadia Kaci, dont le jeu, tout en frémissements et tension, traverse le film avec une présence singulière. Rencontre.
Le Point Afrique : Que représente Amel ? Est-elle une femme au bord de la crise de nerfs ?
Nadia Kaci : Amel illustre une génération pour qui le désenchantement et la douleur du désenchantement ont été à la mesure des convictions qu'elle a eues. J'ai pu observer cela chez mes frères et sœurs aînés, quelque chose de très foisonnant, une énergie belle à observer. Il était évident que le personnage d'Amel porte cette histoire. Elle voit son fils grandir dans une société qui s'abîme. Elle est donc en colère. Elle est dans la renonciation et de façon ambivalente, elle veut aussi sauver quelque chose, notamment par le biais de son fils.
Se sent-elle trahie par la tournure que prend l'Algérie ?
Je dirais plutôt qu'il y a une grande culpabilité. On porte cela, notamment vis-à-vis de cette décennie noire. Ceux qui sont restés se sentaient coupables de ne pas en faire assez. Ceux qui sont partis se sont sentis coupables justement d'être partis. J'ai quitté l'Algérie durant cette période et je me souviens avoir eu de la joie simplement à marcher dans la rue à Paris, de traverser un pont. Puis ensuite, soudainement j'ai ressenti une bouffée de culpabilité à me dire que là-bas les gens mouraient. Mais on peut penser aussi à la trahison, car oui on nous avait promis une Algérie meilleure, une Algérie libre, un progrès permanent et évident. C'était évident que le pays allait progresser. On nous avait éduqués dans cette idée : des hommes et des femmes s'étaient battus pour la libération du pays, pour qu'on puisse aller à l'école et devenir quelqu'un, construire une société digne de ce nom. J'ai beaucoup travaillé sur le sentiment de peur aussi pour construire le personnage d'Amel. Mais le jeu n'est pas une science exacte, il faut laisser les choses venir sans trop les décortiquer sinon cela devient un peu trop surjoué.
Que saviez-vous de cette période ?
Lyna Khoudri : Je suis née en 1992 en Algérie, à Alger. Mon père, journaliste à la télévision, est parti en 1993 car il était menacé et nous l'avons rejoint en France en 1994. J'avais cette histoire qui planait dans ma famille, de façon banale, alors que c'était des histoires de morts. Je me suis inspirée des femmes de ma famille, fortes et battantes. Il y a une démarche particulière à Alger, que je connais bien, pour y être allée souvent : on marche sans regarder les gens, mais sans baisser les yeux non plus. On marche en regardant la ligne d'horizon.
Fériel est aussi en colère, comme Amel ?
Je pense que nous sommes tous en colère en Algérie (rires). À un moment, il est bon d'être en colère. Mais Fériel a-t-elle vraiment le temps d'être en colère ? Elle s'occupe de tant de monde : son père, son frère, son confident, ses amis. Elle tente que tout se passe bien. Fériel est un « homme », elle est sur tous les fronts.
Et sa relation avec ce commissaire énigmatique ?
Oui c'est une relation que je voulais comprendre. Mais Sofia m'a dit de ne pas trop chercher à approfondir le pourquoi de ce lien étrange. Il a perdu sa femme et sa fille dans un massacre et Fériel a perdu sa mère dans des conditions terribles aussi. C'est cela, leur lien. Il sait que Fériel a cette cicatrice, il est le seul devant qui elle peut la montrer. C'est un mentor en quelque sorte. Sans ambiguïté. Elle prend soin de lui comme elle prend soin de tout le monde.
PROPOS RECUEILLIS PAR HASSINA MECHAÏ ET ESTHER THWADI-YIMBU/lepoint.fr

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