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Législatives 2017 en Algérie : que pèsent vraiment les islamistes ?

Vingt ans après leur intégration dans le jeu politique, ils repartent à l’assaut de l’Assemblée à la faveur des législatives de mai prochain. Mais leur poids électoral réel demeure la grande inconnue. Enquête sur une mouvance décidée à rejouer la carte de l’entrisme.
Un jour béni de Dieu pour les islamistes que ce mardi 24 juin 1997. Après plusieurs jours de tractations, le Mouvement de la société pour la paix (MSP), du cheikh Mahfoud Nahnah, qui décédera en juin 2003, accepte de rejoindre le gouvernement dirigé par Ahmed Ouyahia. Sept membres du parti, barbes bien taillées et costumes en alpaga, héritent alors de cinq ministères et de deux secrétariats d’État. « Le président Liamine Zéroual avait proposé au cheikh Nahnah d’intégrer des islamistes dans l’exécutif, et Ouyahia a négocié directement avec lui les portefeuilles ministériels », se souvient Abdelmadjid Menasra, ancien ministre de l’Industrie et actuel président du Front du changement (FC).
En faisant le choix de la légalité, ne risque-t-il pas de se voir débordé par une mouvance radicale encline à la violence ?
Quelques jours auparavant, le 5 juin, 69 députés du MSP et 34 du Mouvement de la renaissance islamique (Ennahda), du cheikh Abdallah Djaballah, faisaient leur entrée dans la nouvelle Assemblée populaire nationale (APN), largement dominée par le Rassemblement national démocratique (RND), le parti que le pouvoir avait créé quatre mois plus tôt. Avec l’arrivée des islamistes dans une coalition gouvernementale et sur les bancs de l’APN, la page du Front islamique du salut (FIS) est définitivement tournée. La crise de légitimité de l’APN, née de l’interruption du processus électoral en janvier 1992 après la victoire du FIS aux législatives de décembre 1991, est également réglée. En cet été 1997, une parenthèse se referme, alors que le pays est encore en proie au terrorisme barbare.
Le choix de l’union politique
Vingt ans après, les islamistes repartent à l’assaut de l’APN à la faveur des législatives du 4 mai prochain. Et pourraient même intégrer le futur gouvernement. Éclatée en plusieurs partis, minée par les dissensions et les rivalités internes, la mouvance islamiste rêve aujourd’hui de faire l’union sacrée. Dans les prochaines semaines, le MSP d’Abderrazak Mokri et le FC d’Abdelmadjid Menasra devraient fusionner pour constituer une seule formation politique. Ils emboîteraient ainsi le pas à trois autres partis islamistes qui ont scellé, en décembre 2016, « une alliance stratégique unitaire » dans la perspective de ce rendez-vous électoral.
À terme, les Frères musulmans algériens caressent l’espoir de se rassembler autour de deux partis. Voire d’un seul. Une première depuis la légalisation des partis d’obédience islamiste dans la foulée de l’ouverture démocratique de 1989. Que pèse aujourd’hui ce courant politique ? Quelles mutations a-t-il connues en un quart de siècle ? Son projet d’instaurer une « république islamique » a-t-il encore un sens ? En faisant le choix de la légalité, ne risque-t-il pas de se voir débordé par une mouvance radicale encline à la violence ?
Se ranger dans le processus électoral
Le FIS était radical, le MSP a joué la carte de la modération. Les dirigeants du premier, après sa dissolution, en mars 1992, s’étaient lancés dans un affrontement armé avec le pouvoir, Nahnah a choisi l’entrisme en acceptant de devenir un acteur politique légaliste. Une stratégie amorcée en 1995 avec la participation de Nahnah à l’élection présidentielle remportée par Liamine Zéroual. Ex-porte-parole de Nahnah, aujourd’hui reconverti dans le journalisme, Slimane Chenine explique les raisons de ce choix légaliste :
« L’État était en danger de disparition. Beaucoup pariaient que l’Algérie allait s’écrouler. Deux options s’offraient à nous : participer au sauvetage du pays en s’engageant aux côtés de l’État ou passer dans l’opposition en donnant raison à ceux qui jugent qu’il est illégitime. Par devoir patriotique, Nahnah a accepté les résultats de la présidentielle, bien qu’il sût qu’il en était le véritable vainqueur


Chenine confie qu’un émissaire du pouvoir remettra ensuite un message au cheikh lui demandant de ne pas contester les résultats arrangés des législatives de 1997 – le MSP aurait obtenu 155 sièges, contre 69 officiellement – au motif que le pays ne pourrait s’accommoder d’un parti islamiste majoritaire à l’APN. Que cela soit vrai ou faux, ce choix paie. « Nous avions accepté ces résultats pour le bien de l’Algérie, explique Menasra, assis dans le vaste bureau d’une résidence qui tient lieu de siège de son parti. Nous n’étions pas le FIS pour verser dans la violence. Notre stratégie consistait à prendre part à tous les processus électoraux. C’était le seul moyen d’arrêter les violences. »
Un vaste réseau
Président du MSP depuis mai 2013, Abderrazak Mokri, 56 ans, abonde dans le même sens. « L’Algérie était en guerre, il fallait des institutions crédibles et représentatives, avance ce médecin de formation et père de huit enfants. De plus, nous avions besoin d’acquérir de l’expérience dans la gestion des affaires du pays. »
Présence de ministres dans tous les gouvernements, participation à la coalition présidentielle, soutien indéfectible à Bouteflika, le MSP joue à fond la carte de l’entrisme, qui ne présente que des avantages. Au fil des années, le parti se constitue un vaste réseau composé de commerçants, d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires, qui auront largement profité de leur proximité avec les ministres islamistes gérant les départements du Tourisme, de l’Industrie, de la Pêche, des Travaux publics ou encore du Commerce. Ce réseau représente une force financière substantielle au service du parti et de la mouvance en général.
L’impact des printemps arabes
L’arrivée des Frères musulmans aux affaires en Égypte, en Tunisie et au Maroc à la faveur du Printemps arabe sonne le glas de cette stratégie. En Algérie, les islamistes divorcent d’avec le pouvoir et rejoignent l’opposition. « Nous avions commis des erreurs, admet Mokri. Nous avons voté en 2008 une Constitution qui supprimait la limitation des mandats présidentiels et nous avons trop ménagé le pouvoir, qui n’a pas su faire de vraies réformes politiques et économiques. Il fallait rompre. » À vrai dire, ils pensaient pouvoir marcher sur les pas des Égyptiens, des Tunisiens et des Marocains.
 Nous ne voulons pas imposer notre vision de la religion.
« L’ancien président du MSP a lancé une croisade contre la corruption pour affaiblir le pouvoir et regagner une respectabilité, alors que de nombreux ministres de son parti étaient éclaboussés par des scandales de corruption, analyse Hmida Layachi, spécialiste de l’islamisme. Ils étaient convaincus que le pouvoir était à portée de main. » Las ! L’échec des Frères musulmans dans la conduite des affaires, notamment au Caire et à Tunis, n’a pas servi la cause des islamistes algériens. « Il a même constitué une sorte de repoussoir, admet Menasra. Le pouvoir a davantage fermé le jeu pour se prémunir contre un tel scénario. »
Plutôt opportunistes, ils ont changé de stratégie depuis peu en proposant un nouveau pacte. Mokri estime désormais que la crise économique qui touche durement l’Algérie offre une opportunité de consensus entre le pouvoir et l’opposition. « Ne pas aller aux élections, c’est faire le choix de la rupture, explique-t-il. La situation est tellement inquiétante et susceptible de déboucher sur une crise multidimensionnelle que ce consensus est devenu vital. »
Proposer un projet politique
Les Frères n’ont pas seulement changé de stratégie, mais aussi de discours. Au milieu des années 1990, le MSP de Nahnah avait pour slogan « El-islam houwa el-hal » (« l’islam est la solution »). Même s’ils se sont toujours gardés d’évoquer ouvertement l’instauration d’une république islamique, les dirigeants du parti n’en mettaient pas moins en avant les principes islamiques sur lesquels devaient, selon eux, être fondés l’État et la société.


Vingt ans plus tard, le mot « islam » a été gommé de leur lexique. « Nous ne voulons pas imposer notre vision de la religion, plaide Mokri. Le pays a besoin davantage de réformes politiques et économiques que de slogans creux pour sortir de la crise. » Lakhdar Benkhellaf, député et chef du groupe parlementaire El Adala (14 sièges), jure que le projet d’une dawla islamiya (« État islamique ») cher au FIS est mort et enterré. « La notion même de parti islamiste n’est plus de mise, affirme-t-il. Notre courant a été victime du FIS. Nous ne sommes pas des intégristes, mais des démocrates qui militent pour le pluralisme. »
Le modèle turc
Il est vrai que le terrorisme des GIA et le soutien que leur ont apporté certains dirigeants du FIS ont érigé une sorte de digue contre ce projet. « Les islamistes ont pris conscience que les Algériens rejettent catégoriquement cette lubie, note Hmida Layachi. C’est un projet de sang et de fureur qui a été enterré par la décennie noire. La participation des islamistes à la gestion des affaires, la réconciliation nationale et la main tendue aux repentis ont délégitimé la notion de dawla islamiya au nom de laquelle le FIS a pris les armes. »
Les salafistes ne développent pas un discours politique mais sociétal, essentiellement fondé sur le rejet de la modernité.
Autre signe de la mue des islamistes algériens, Riyad ou Téhéran ne constituent plus des références sacrées. Ils leur préfèrent désormais l’AKP de Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie, devenu leur modèle. Nombreux sont ceux qui l’ont d’ailleurs soutenu lors de la tentative de coup d’État dont il a fait l’objet en 2016. « On peut s’en inspirer, acquiesce Benkhellaf. Le modèle turc a permis la diversification de l’économie, la promotion du tourisme, des services et de l’industrie. » Sauf que ce modèle qui allie modernité et conservatisme a pris du plomb dans l’aile avec les scandales de corruption qui ont éclaboussé l’entourage d’Erdogan, ainsi qu’avec la chape de plomb qui s’est abattue sur la Turquie depuis ce putsch avorté.
Quel discours en cas de crise ?
Alors, les islamistes algériens, combien de divisions ? En l’absence d’élections libres et transparentes, difficile de le dire. À en croire leurs dirigeants, la fraude les a toujours lésés. Ils jurent qu’ils sortiraient largement vainqueurs de tous les scrutins si le pouvoir venait à confier leur organisation à des instances réellement indépendantes. À preuve, « les partis islamistes ont remporté les élections en Égypte, en Tunisie et au Maroc, où les scrutins étaient transparents, argumente Mokri. Pourquoi ce qui est valable là-bas ne le serait pas en Algérie ? »
Pour Hmida Layachi, le nombre de députés islamistes ne reflète pas le poids réel de ce courant dans la société. Il estime par ailleurs que les légalistes peuvent être débordés par un courant salafiste de plus en plus présent et actif dans les écoles, les mosquées ou les associations religieuses ou caritatives. « Les salafistes ne développent pas un discours politique mais sociétal, essentiellement fondé sur le rejet de la modernité, ajoute encore l’essayiste. L’influence de plus en plus grandissante qu’exercent les téléprédicateurs officiant sur les chaînes privées participe à l’islamisation de la société. S’ils prônent aujourd’hui le pacifisme, ils pourraient toutefois basculer dans la violence dans des moments de tension et de crise. »
La fatwa lancée en 2014 par le prédicateur extrémiste Abdelfattah Hamadache, président du Front libre salafiste d’Algérie, contre l’écrivain et journaliste Kamel Daoud ou encore les manifestations organisées en janvier 2015 à Alger contre Charlie Hebdo et pour la défense du Prophète constituent des avertissements. « Les atteintes aux libertés, la crise économique, la corruption, le malaise social, bref les causes de l’émergence du FIS au début des années 1990 sont encore là aujourd’hui », avertit Slimane Chenine.. »
Par Farid Alilat/ jeuneafrique.com

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