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Giorgia Meloni délocalise les européennes en Tunisie pour reparler d’immigration

Pour sa quatrième visite, la dirigeante a voulu convaincre Tunis d’être le gardien officiel de ses frontières migratoires. Pas gagné.

Le 17 avril, la présidente du Conseil italien se rendra en Tunisie pour mettre la dernière main à son projet de coopération migratoire. L’enjeu est d’importance, à la veille des élections européennes à l’issue desquelles elle espère que l’extrême droite sortira renforcée.

Elle n’est plus venue à Tunis depuis juillet 2023 et la signature du Mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre l’Union européenne et la Tunisie, dont elle a été l’architecte. Mais Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien, n’a pas perdu de vue la Tunisie, qui a été son premier terrain pour expérimenter tout un arsenal de mesures anti-immigration de son cru, allant du fameux accord avec l’UE au programme Mattei, pour finir par le plan Caivano. Avec un unique objectif : mettre le holà à l’immigration clandestine.

Meloni, soutien d’Ursula von der Leyen ?

Après avoir reçu, le 10 avril au Palazzo Chigi, Charles Michel, le président du Conseil européen, au lendemain de l’adoption du Pacte sur la migration et l’asile, la championne de l’externalisation du traitement de l’immigration mènera au pas de charge des rencontres de haut niveau durant quelques heures à l’occasion de sa visite à Tunis, le 17. Elle gagnera ensuite Bruxelles pour participer à la dernière réunion du Conseil européen avant les élections européennes de juin.

L’enjeu, pour Meloni, est de s’assurer de la pleine coopération de la Tunisie afin de ne pas avoir de mauvaises surprises au cours d’une campagne électorale délicate. Elle espère qu’à son issue les partis européens de droite sortiront victorieux tout comme la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qu’elle semble soutenir même si elle songe visiblement aussi à propulser à la tête de l’UE l’économiste Mario Draghi, son prédécesseur à la présidence du Conseil italien.

Selon des observateurs de la diplomatie romaine, Meloni devrait accentuer la pression sur la Tunisie pour que celle-ci accepte de manière inconditionnelle de servir de frontière avancée à l’Europe en procédant, sur son territoire, à toutes les formalités de contrôle des migrants en situation irrégulière, et même en leur appliquant des mesures de rétention.

Kaïs Saïed dans l’embarras

Tunis s’est montré jusqu’à présent réticent à accueillir des migrants non tunisiens en situation irrégulière et expulsés de l’UE. Le 20 juin 2023, Kaïs Saïed, le président tunisien, avait déclaré à Gérald Darmanin et à Nancy Faeser, les ministres français et allemand de l’Intérieur, que « son pays n’avait pas vocation à être le garde-frontière de l’Europe ni une terre de réinstallation pour les migrants rejetés ailleurs ».

Kaïs Saïed avait ainsi rassuré ses compatriotes, hostiles à ce que la Tunisie soit le théâtre de situations dont les migrants tunisiens eux-mêmes peuvent souffrir. Il avait aussi évité de se trouver en contradiction trop flagrante avec ses nombreuses déclarations sur le respect de la souveraineté de son pays.

L’absence de réaction de Giorgia Meloni a pu étonner. Il ne s’agissait pourtant pas d’un renoncement. La dirigeante italienne a juste donné du temps au temps et est revenue à la charge en obtenant l’appui de Kamel Feki, le ministre tunisien de l’Intérieur, qui a souvent rencontré son homologue italien, Matteo Piantedosi, à Rome et à Tunis.

Désormais, il est non seulement question de fournir des formations et des équipements pour assurer l’étanchéité des côtes, mais d’ériger, comme le précise Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), « un centre de rétention à Bir Fatnassi, à Tataouine (Sud) ». « Le projet et les fonds existent, ajoute le défenseur des droits de l’homme. Tout dépend de la partie tunisienne. »

Un pas de plus, alors que Tunis a déjà été impliqué dans le « soutien aux opérations Recherche et sauvetage (SAR) », qui consistent le plus souvent à empêcher les départs, et à contraindre, fût-ce par la force, les embarcations à rebrousser chemin. La Tunisie devient ainsi la nouvelle Lampedusa.

Flux migratoires : recul en mars, reprise en avril

Pour atténuer une situation pour le moins inconfortable pour Kaïs Saïed, Giorgia Meloni a fait diffuser des chiffres et des commentaires sur l’immigration avant sa venue. Ces données confirment la reprise des flux migratoires depuis le début d’avril, après un recul apparent en mars. En réalité, ce reflux était davantage dû aux mauvaises conditions météorologiques qu’aux mesures prises par la Tunisie pour lutter contre le phénomène migratoire (ces dernières ont d’ailleurs pour effet de réactiver les départs depuis la Libye).

Selon le FTDES, au cours du premier trimestre de 2024, pas moins de 8 517 immigrés en situation irrégulière auraient été bloqués avant qu’ils ne traversent la Méditerranée, et 1 371 autres auraient atteint les rives italiennes en mars.

Les autorité italiennes s’alarment surtout des 8 000 arrivées qu’elles ont recensées au cours de la première semaine d’avril et qui seraient, dans leur majorité, en provenance de Tunisie. Du côté tunisien, on avance le chiffre de 15 084 migrants en situation irrégulière (dont 1 599 clandestins tunisiens) entre le 1er janvier et le 8 avril 2024. Suffisamment, en tout cas, pour irriter Rome.

Giorgia Meloni persiste à vouloir répliquer le dispositif mis en place avec la Tunisie à d’autres pays. Elle communique donc abondamment sur les fonds que l’Italie, et surtout l’UE, ont versés pour lutter contre les flux migratoires : près de 60 millions d’euros, essentiellement destinés à des actions de formation et à la livraison de gros ou de petits équipements. Le Mémorandum mentionne aussi la somme de 900 millions d’euros, mais son versement est conditionné à un accord du FMI, dont chacun sait que la Tunisie ne remplit pas les conditions pour l’obtenir. Une grossière façon d’appâter un pays en proie à de graves difficultés économiques.

Le double jeu africain de Giorgia Meloni

Dernier point : à l’occasion de son déplacement à Tunis, la présidente du Conseil italien devrait être accompagnée d’Anna Maria Bernini, sa ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le but est-il de mettre en place les aides à la formation promises lors du sommet de Rome, en janvier dernier ? Sans doute est-ce un moyen de faire pendant à la présence de Matteo Piantedosi, son ministre de l’Intérieur, qui sera probablement porteur de propositions moins bienveillantes pour remédier à la porosité des frontières maritimes et au manque de savoir-faire supposé des Tunisiens.

World Opinions - Agences

 

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