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Débats. Pourquoi l’esplanade des Mosquées est-elle un lieu ultrasensible ?

 

Troisième lieu saint de l’islam et lieu le plus sacré du judaïsme, l’esplanade des Mosquées, ou mont du Temple, où le nouveau ministre de la sécurité nationale israélien s’est rendu, est l’épicentre du conflit israélo-palestinien.

L’esplanade des Mosquées, où le nouveau ministre israélien de la sécurité nationale et figure du mouvement suprémaciste juif, Itamar Ben Gvir, s’est rendu mardi 3 janvier, est un lieu où le moindre incident peut dégénérer. Au cours de la décennie écoulée, c’est là que tous les soulèvements palestiniens d’envergure ont débuté. Au-delà de son enjeu religieux et symbolique, il a servi d’exutoire et de révélateur des frustrations et des colères accumulées au fil des ans. La formation du nouveau gouvernement israélien pourrait encore exacerber les tensions.

L’esplanade des Mosquées ou mont du Temple, c’est quoi?

Appelé mont du Temple par les juifs, c’est le site le plus sacré du judaïsme et le troisième lieu saint de l’islam, après La Mecque et Médine. L’esplanade couvre 14 hectares sur les hauteurs de la partie orientale de la ville, occupée par Israël depuis la guerre des Six-Jours, en juin 1967, puis annexée en 1980, dont les Palestiniens veulent faire la capitale de l’Etat auquel ils aspirent.

Nommé Al-Haram al-Charif (« noble sanctuaire ») ou simplement Al-Aqsa par les musulmans, le site abrite le dôme du Rocher, édifice le plus imposant bâti à l’emplacement où, selon la tradition, Abraham offrit un fils en sacrifice et d’où le prophète Mahomet s’éleva au ciel. Au sud de l’esplanade se trouve la mosquée Al-Aqsa (ou « mosquée lointaine »), construite au VIIe siècle, après la prise de Jérusalem par le calife Omar.

Elle est bâtie sur le site où se dressait le temple de Salomon, construit au Xe siècle avant J.-C. et détruit par les Romains en l’an 70, qui aurait abrité l’Arche d’alliance. Le mur des Lamentations (ou Mur occidental), son plus important vestige connu qui soutenait l’esplanade où se situait l’édifice, est considéré par les juifs comme le lieu de prière le plus sacré, en raison de sa proximité avec le « saint des saints », la partie centrale du temple détruit.

Qui gère le site et quelles sont les règles ?

Malgré la prise de Jérusalem-Est par l’armée israélienne en 1967, l’esplanade reste gérée par le Waqf, une fondation islamique financée et dirigée par la Jordanie. Des gardiens employés par la fondation sont chargés de veiller au respect des règles religieuses, mais la sécurité y est assurée par la police israélienne.

En vertu d’un statu quo historique que l’Etat d’Israël s’est engagé à respecter en 1967, les musulmans peuvent s’y rendre à toute heure du jour et de la nuit, et les juifs, comme tous les non-musulmans, peuvent y accéder à certaines heures, sous stricte surveillance et seulement via la porte des Maghrébins (ou porte des Immondices), mais ne sont pas autorisés à y prier, ni à y pénétrer en possession de signes religieux. Depuis quelques années, des extrémistes revendiquent ce droit et s’y rendent de plus en plus nombreux pour y prier plus ou moins ostensiblement. Selon le groupe Beyadenu, qui coordonne leurs actions, 50 000 visiteurs juifs – souvent les mêmes – ont été comptabilisés entre septembre 2021 et septembre 2022 (ce qui correspond à l’année juive), soit deux fois plus que l’année précédente.

La présence de plus en plus importante de ces visiteurs et les rites que certains y accomplissent suscitent fréquemment des tensions avec les musulmans, qui craignent que l’Etat hébreu n’en modifie les conditions d’accès et les règles, comme le réclame Itamar Ben Gvir. Son arrivée au gouvernement, qui plus est à la tête des forces de l’ordre chargées de la sécurité des lieux, attise fortement ces craintes. Le Waqf proteste régulièrement, mais n’a pas le pouvoir de s’y opposer, et la police israélienne semble de plus en plus clémente à l’égard des partisans de « l’égalité des droits » pour les juifs et les musulmans.

Quelle est la position de la coalition au pouvoir ?

Les accords qui ont permis à Benyamin Nétanyahou de former son sixième gouvernement avec plusieurs partis religieux ultraorthodoxes et d’extrême droite comme celui d’Itamar Ben Gvir, force motrice de la liste Sionisme religieux, qui a obtenu 14 des 120 sièges de la Knesset, affirment que « le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la terre d’Israël » et que « le gouvernement encouragera et développera le peuplement dans toutes les parties de la terre d’Israël », y compris en Cisjordanie occupée. Dans les lignes directrices de son programme, qui ne sont pas contraignantes, la coalition promet toutefois de respecter le « statu quo sur les questions de religion et d’Etat (…), y compris en ce qui concerne les lieux saints ».

Les partis ultraorthodoxes Shass et Judaïsme unifié de la Torah, membres de la coalition, sont hostiles à toute remise en cause du statu quo, tout comme le grand rabbinat d’Israël, pour lequel la situation actuelle ne permet pas aux fidèles de respecter les rites de purification nécessaires pour fouler le Saint des saints. Itamar Ben Gvir, qui s’y était déjà rendu à plusieurs reprises alors qu’il était député, milite en revanche très ouvertement en ce sens et dispose de pouvoirs élargis. Une loi adoptée récemment à la Knesset, dont il avait fait la condition de son entrée au gouvernement, lui octroie l’autorité nécessaire pour définir la politique générale de la police et établir les « principes d’action généraux ». Or, c’est la police qui, de fait, détermine la politique en matière de prière juive et d’heures de visite au mont du Temple.

A la veille de sa dernière visite sur l’esplanade, il avait été reçu par Benyamin Nétanyahou. Le Likoud, dont le chef du gouvernement est issu, a confirmé qu’il ne s’y était pas opposé.

Quel est le poids des partisans de « l’égalité des droits » et que réclament-ils ?

Avant les législatives, Beyadenu a présenté aux candidats de plusieurs partis, dont le Likoud, une liste de revendications comprenant l’octroi aux juifs de la liberté de culte, des heures de visite égalitaires entre juifs et musulmans ou l’ouverture du site pour les juifs à shabbat. Selon l’organisation, qui milite également pour l’édification à terme d’une synagogue sur le site, plusieurs membres du Parti sioniste religieux et du Likoud en ont approuvé certaines.

L’égalité des droits peut sembler être une revendication légitime mais, si les Palestiniens s’y opposent si fermement, c’est parce qu’ils savent qu’elle a pour but de les évincer progressivement de la vieille ville, sur le modèle de ce qui se passe à Hébron.

En 2021, après l’arrestation d’un fidèle un peu trop zélé, un tribunal de Jérusalem a conclu que les prières, discrètes, n’étaient pas interdites sur l’esplanade des Mosquées, mais le jugement a été cassé en appel.

Quelles conséquences pourrait avoir un changement du statu quo ?

Toute tentative de modification du statu quo en vigueur sur l’esplanade des Mosquées sera considérée comme une déclaration de guerre, a averti l’Autorité palestinienne à la veille de la visite d’Itamar Ben Gvir. De fait, la plupart des initiatives israéliennes sur le site ont donné lieu à de violentes réactions.

En 1996, l’ouverture d’un nouvel accès à un tunnel qui passe près de l’esplanade des Mosquées, geste perçu côté palestinien comme une profanation de ce lieu saint, a provoqué des heurts qui ont fait plus de 80 morts en trois jours.

Le 28 septembre 2000, la visite sur l’esplanade d’Ariel Sharon, alors leader de l’opposition et chef de file de la droite israélienne, a été l’événement déclencheur de la deuxième Intifada, le soulèvement palestinien.

En juillet 2017, l’installation de détecteurs de métaux à plusieurs entrées du site donnait lieu à de nouveaux affrontements. Dix jours après leur mise en place, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou devait se résoudre à les démonter pour désamorcer la crise.

En mai 2021, après plusieurs jours de grande tension, c’est la tentative d’incursion de fidèles juifs, dont Itamar Ben Gvir, à l’occasion d’une démonstration de force nationaliste, et la répression israélienne qui a suivi contre les Palestiniens, à l’intérieur même de la mosquée Al-Aqsa, qui ont déclenché les tirs de roquettes du Hamas et une guerre de onze jours à Gaza.

Au printemps 2022, l’intervention des forces israéliennes sur l’esplanade des Mosquées et leur entrée dans la mosquée d’Al-Aqsa pour en déloger de jeunes Palestiniens déterminés à la « défendre » après un appel d’extrémistes juifs à effectuer le sacrifice rituel d’un agneau sur le site, qui n’avait aucune chance d’aboutir, a fait plusieurs dizaines de blessés et a donné lieu au bouclage de la Cisjordanie.

Par Jean-Philippe Lefief - Le Monde

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