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En Ethiopie, la maîtrise de la croissance démographique passe par l’éducation

 

Grâce à une politique élaborée de planning familial entamée dès les années 1990, l’Ethiopie connaît une baisse constante de son taux de fécondité. Mais malgré cette évolution, le pays devrait voir sa population atteindre 213 millions d’habitants en 2050.

L’Ethiopie compte parmi les huit pays au monde où se concentrera plus de la moitié de la croissance démographique mondiale entre 2022 et 2050, montre le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies sur la population mondiale, publié le 11 juillet. La nation de la Corne de l’Afrique s’est pourtant démarquée il y a plus d’un quart de siècle comme un pionnier du continent africain en matière de baisse de la fécondité grâce à une politique élaborée de planning familial, y compris dans les campagnes de ce pays à l’urbanisation encore lente.

Le pays a beau être le deuxième le plus peuplé d’Afrique, il ne connaît pas la véritable taille de sa population. Le dernier recensement en Ethiopie date de 2007. Depuis, les autorités éthiopiennes se basent sur de simples projections. Les Nations unies, elles, estiment la population à 122 millions d’individus. Malgré un taux de fécondité en baisse constante, l’Ethiopie devrait compter 213 millions d’habitants en 2050, devenant ainsi le neuvième pays le plus peuplé du monde.

« Nous avons l’une des politiques les plus progressives d’Afrique en matière de planning familial », avance le docteur Mengistu Asnake, directeur de l’ONG Pathfinder en Ethiopie. A Addis-Abeba, la capitale, les femmes ont un taux de fécondité moyen inférieur à deux enfants : une rareté sur le continent.

Loin des méthodes autoritaires

Spécialiste de la santé sexuelle et reproductive depuis trois décennies, le docteur a suivi les évolutions de l’approche éthiopienne. C’est en 1993 que les enjeux de la transition démographique font leur apparition dans les politiques nationales. Le gouvernement éthiopien inscrit alors dans le marbre sa politique de population nationale. Sa priorité est déjà de « diminuer le taux de fécondité de 7,7 en 1993 à 4 en 2015. »

L’objectif ne sera pas complètement atteint – le taux de fécondité à l’échelle nationale est encore aujourd’hui de 4,2 – mais le programme aura permis de coordonner et populariser le planning familial à travers ce pays encore profondément rural. « Il ne s’agissait pas de contrôler les naissances de manière répressive mais d’aligner la croissance de notre population à celle de notre économie, et de le faire sur la base du volontariat », précise Mengistu Asnake.

En 1993, l’Ethiopie émerge doucement de quinze ans de guerre civile sous la dictature militaire communiste du Derg. Les institutions sont exsangues, aucun établissement public ne donne accès au planning familial. Une seule clinique privée offre alors ce privilège dans la capitale. Seules 4 % des femmes utilisent alors des méthodes de contraception. Un gouffre. L’arrivée de nombreux donneurs et d’ONG internationales coïncide avec le bourgeonnement de cliniques.

Loin des méthodes autoritaires chinoises, Addis-Abeba fait le pari de l’éducation. Une école primaire est construite dans chaque qébélé (« quartier »), faisant passer le taux de scolarisation des jeunes filles de 21 % en 1995 à 95 % aujourd’hui. Ce vivier d’écolières assure la promotion des techniques de planning familial. « A partir de 2005, un programme-phare d’extension sanitaire va former des lycéennes pour devenir les militantes de la santé reproductive », explique le docteur Mengistu Asnake. Des milliers de jeunes femmes suivent une formation d’un an avant d’être déployées dans leurs régions d’origine.

« Inégalités régionales et sociodémographiques »

L’Ethiopie compte aujourd’hui environ 40 000 de ces ambassadrices aux quatre coins de son territoire, chargées de disséminer les savoirs en matière de contraception. Cinq méthodes sont proposées : pilule, injection, préservatifs, implant et stérilet. Une femme sur quatre y a recours. « C’était une innovation sur le continent, de mobiliser directement des femmes volontaires issues des communautés locales », ajoute Mengistu Asnake. Des experts en santé publique affluent alors du Nigeria, de Tanzanie, du Mozambique ou d’Ouganda pour étudier le modèle éthiopien.

Mais cette approche est-elle satisfaisante dans un pays où 60 % des femmes n’utilisent toujours pas de contraception ? Peut-on parler d’équité alors que plus de 50 % des femmes d’Addis-Abeba utilisent une forme de contraception contre 3,5 % en région Somali ? Et que le taux de fécondité est plus de trois fois supérieur en région Oromia (la plus grande région éthiopienne) par rapport à la capitale ?

La ministre de la Santé, Lia Tadesse, pointe du doigt « les inégalités régionales et sociodémographiques » et « la mauvaise qualité de la distribution des services publics » comme obstacles à la maîtrise du taux de fécondité en Ethiopie. Il faudrait en réalité tripler le budget alloué par le gouvernement pour répondre aux besoins de l’ensemble des femmes éthiopiennes. En effet, plus de 20 % d’entre elles, désireuses de bénéficier du planning familial, n’y ont aujourd’hui pas accès.

Les ambitions des autorités éthiopiennes pourraient se heurter à un contexte politique critique. La guerre civile au Tigré et la sécheresse dans l’est du pays ont déplacé plus de 5 millions d’Ethiopiens en 2021 : un record mondial. De plus, le conflit a détruit plus de deux milles centres de santé dans le nord de l’Ethiopie, ainsi que des centaines d’écoles.

Par Noé Hochet-Bodin - Le Monde Afrique

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