Les consommateurs américains ont du mal à trouver plusieurs produits actuellement, mais la pénurie la plus grave touche le lait infantile en poudre. Une situation qui affecte les plus fragiles et qui est due à une multitude de facteurs, liés aussi bien à la pandémie qu’à l’inflation, et à un scandale sanitaire.
“Des familles de Miami au désespoir”, écrit le site de WRGT, une station locale de télévision en Floride, tandis que la télévision de Salt Lake City narre le “stress intense des parents de l’Utah”. Les titres de ce type se multiplient et deviennent de plus en plus alarmistes dans les médias américains ces derniers jours.
En cause, une pénurie de lait en poudre à travers tout le pays. Plus de 40 % des stocks sont épuisés dans 11 000 magasins, rapporte le quotidien USA Today, lundi 9 mai. Dans six États - l’Iowa, le Missouri, le Texas, le Dakota du Sud et du Nord et le Tennessee - ce sont même plus de la moitié des produits qui ne sont plus disponibles, précise la chaîne CNN qui s’appuie sur les données de Datasembly, un site de suivi de l’évolution des prix des produits au niveau local aux États-Unis, publiées début mai. “Le lait pour enfant est dorénavant le produit pour lequel la pénurie est la plus grave aux États-Unis”, a souligné Ben Reich, PDG de Datasembly.
"Je suis prête à payer cash"
Des photos des étals vides dans les supermarchés n’ont pas manqué d'inonder les réseaux sociaux, tandis que les jeunes parents racontent leurs périples sans fin d’un Target à un CVS (deux enseignes américaines de supermarchés) pour trouver le Saint Graal.
“J’ai deux enfants. Je ne trouve nulle part leur lait en poudre et je suis prêt à payer cash pour tout ce que vous pouvez avoir”, a écrit sur eBay Ashley Hernandez, une habitante du Texas, dont les enfants ont en plus besoin, pour des raisons de santé, d’un lait très spécifique.
“Tous les jours nous recevons des témoignages de parents qui sont anxieux, fâchés, et ont surtout très peur car il en va de la santé de leurs enfants”, a souligné au New York Times Brian Dittmeier, l’un des responsables de la National WIC (Women Infant Children) association, un organisme de soutien aux familles les plus démunies.
Aux États-Unis, 75 % des nourrissons de plus de six mois reçoivent au moins une partie de leur nourriture sous forme de lait en poudre, souligne le site Axios. Cette pénurie risque donc de laisser des traces si elle perdure, pouvant avoir un impact sur le développement des enfants, rappelle CNN.
De la pandémie à l’inflation…
Une situation qui n’a pas échappé aux responsables politiques, surtout dans le camp des républicains. Plusieurs d’entre eux ont appelé l’administration Biden à considérer cette pénurie comme une “crise nationale”, tout en enjoignant le président, dans un savant mélange des genres, à réduire le soutien financier à l’Ukraine afin de débloquer des fonds pour les “mères” américaines…
Même certains démocrates, comme Abby Finkenauer, représentante de l’Iowa, ont appelé le gouvernement à en faire plus. Ils lui ont notamment demandé d’utiliser le Defense Production Act - une loi permettant à l’État de forcer les entreprises du pays à fabriquer en priorité certains produits - pour venir à bout de cette pénurie.
La situation n’a, en effet, fait qu’empirer depuis un an. Au printemps 2021, le lait en poudre semblait encore simplement faire partie de la longue liste des produits affectés par les défaillances des chaînes d’approvisionnement dues à la pandémie. Si la plupart des grandes marques de laits en poudre - Nestlé, Reckitt, Abott - fabriquent leurs produits localement pour le marché américain, elles dépendent, néanmoins, de certains ingrédients ou boîtes de packaging importé de Chine ou ailleurs, souligne le Wall Street Journal.
À cette époque, seuls 10 % des stocks de laits en poudre étaient épuisés. Mais alors que la pénurie d'autres produits aux États-Unis - puces informatiques, textiles - n'a pas empiré, ce n'est pas le cas pour le lait infantile. En janvier 2022, 20 % des produits étaient devenus indisponibles.
Ce n’était plus seulement les tensions sur les chaînes d’approvisionnement qui étaient à l’œuvre, mais aussi le spectre de l’inflation, dopée par la hausse des prix de l’énergie en partie due à ce qui n’était alors encore que la crise en Ukraine.
Pourquoi la disponibilité du lait en poudre a-t-elle été particulièrement affectée par l’inflation ? Il est souvent moins substituable que d’autres produits, donc les familles peuvent avoir tendance à faire des provisions quand ils s'attendent à une flambée des prix, explique The Guardian. Il sembler que les fabricants ont été pris au dépourvu par cette ruée sur le lait en poudre.
… En passant par un scandale sanitaire
Cette pénurie a, en outre, particulièrement touché les populations les plus pauvres car le laboratoire, fournisseur exclusif des dispensaires où sont distribués gratuitement des doses de lait en poudre, s'est retrouvé au centre d'un scandale sanitaire.
Le groupe Abbott Nutrition a, en effet, été contraint d'organiser un rappel massif de plusieurs gammes de produits à partir de mi-février. Ce laboratoire américain qui, outre sa collaboration avec les dispensaires, commercialise certains des laits pour enfants les plus populaires aux États-Unis, s’est retrouvé pointé du doigt par les autorités sanitaires suite à la découverte d’un lien possible entre leurs produits et quatre cas d’enfants hospitalisés, dont deux sont décédés.
Ces enfants avaient été infectés par une bactérie très spécifique - les cronobacters - qui peuvent, dans certains cas rares, causer des infections très dangereuses pour les plus jeunes comme des méningites ou des inflammations sévères, note la Food and Drug Administration (FDA, le gendarme américain des médicaments).
Des traces de cette bactérie ont été décelées dans l’une des usines d’Abbott Nutrition à Sturgis (Michigan) par la FDA. Dans un rapport publié en mars, l’agence conclut que le laboratoire n’avait pas appliqué les mesures d’hygiène nécessaires sur son site de fabrication de lait pour enfant.
Le scandale n’a fait que prendre de l’ampleur lorsque plusieurs médias ont révélé, mi-avril, qu’un lanceur d’alerte avait déjà informé la FDA de manquement aux règles d’hygiène dans l’usine de Sturgis six mois avant la découverte des infections aux cronobacters.
Abbott Nutrition a contesté les conclusions de la FDA et mis les allégations du lanceur d’alerte sur le compte de la rancœur d’un ancien employé licencié. Le laboratoire n’en a pas moins suivi les recommandations de la FDA et organisé, à partir de mi-mars, un rappel supplémentaire de produits.
En attendant, pour faire face à cette pénurie, la plupart des grands centres commerciaux ont limité le nombre de boîtes de lait infantile vendu par client. Dans l'espoir de pouvoir garder ainsi un certain contrôle sur leur stock.
Le lait en poudre est ainsi devenu la dernière illustration en date, et peut-être l'une des plus frappantes, que personne n'échappe aux contre-coups des crises actuelles. Même pas le nourrisson, loin d'avoir conscience que son biberon dépend, en partie, des confinements en Chine, de leurs effets sur la chaîne d'approvisionnement et des tensions au cœur de l'Europe qui participent à la flambée des prix.
World Opinions + France 24
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