La Piscine de Roubaix accueille une riche exposition de l’artiste russe proche de Kandinsky.
Après la Fondation Mapfre de Madrid et le Musée Cantini de Marseille, la Piscine de Roubaix accueille une belle et importante exposition d’Alexej von Jawlensky (1864-1941). Elle a été conçue par l’historien d’art Itzhak Goldberg, qui avait choisi le peintre, et notamment sa série de « Têtes géométriques », qui s’échelonne de 1921 à 1935, comme sujet de thèse.
C’est dire qu’on appréhendait la visite : la répétition sérielle d’une même face, soit une bouche et deux yeux pour les horizontales, un nez – un simple trait en « L » – pour la verticale, le tout dans un ovale flou encadré de quelques rares courbes figurant une chevelure, ce peut être lassant…
Jamais Jawlensky ne franchira le pas qui l’aurait conduit vers l’abstraction : même simplifiés à l’extrême, ses tableaux restent figuratifs
Eh bien pas du tout ! On découvre à Roubaix un peintre bien plus riche et complexe que celui de nos souvenirs estudiantins. Avec près de cent trente œuvres, l’exposition couvre toute l’étendue de son travail, la confronte à des exemples de celles de ses contemporains, comme Derain, Matisse, Vlaminck ou Van Dongen, mais aussi à des artistes qui lui furent plus proches, comme Marianne von Werefkin, Gabriele Münter et Vassily Kandinsky. Mais, malgré la proximité avec ce dernier, jamais Jawlensky ne franchira le pas qui l’aurait conduit vers l’abstraction : même simplifiés à l’extrême, ses tableaux restent figuratifs.
Le ton est donné dès l’entrée de l’exposition, avec deux autoportraits. Le premier est celui d’un dandy coiffé d’un haut-de-forme. Il est peint en 1904, alors que l’artiste n’est que depuis peu sorti de l’atelier de son compatriote Ilya Répine – que salue, jusqu’au 23 janvier 2022, une rétrospective au Petit-Palais, à Paris. Ce dernier lui a enseigné des bases solides et un principe sacré : ne pas rester trop longtemps à l’académie ! Ce qu’il démontre dans ce tableau, zébré de touches sauvages dans des tons qui ne le sont pas moins.
« Touché par la grâce »
Le second le représente huit ans plus tard. Le chapeau a disparu, révélant un début de calvitie, le visage s’est beaucoup épaissi, la touche picturale aussi. Le portrait est frontal, les accords de couleurs à la limite de la dissonance, l’œil bleu fixe le spectateur et, malgré la densité de la matière, il anticipe dans sa construction ce que seront plus tard les fameuses « Têtes géométriques ».
« J’avais compris, écrit le peintre, en 1938, à propos de ses visages, à l’artiste Jan « Willibrord » Verkade, un peintre du groupe des Nabis, qui s’est fait moine, que la grande peinture n’est possible qu’en ayant un sentiment religieux. » Comment reprocher à un Russe de peindre des icônes ? Car, s’il a fait sa carrière un peu en France, beaucoup en Allemagne, puis en Suisse, où il se réfugie au début de la première guerre mondiale, Jawlensky est né à Torjok, une ville située au nord-ouest de Moscou, où était caserné son père, colonel dans l’armée impériale. Lui-même s’engage dans la carrière militaire jusqu’à ce qu’une visite à l’Exposition universelle de 1880, à Moscou, ne lui révèle la peinture : « Je fus touché par la grâce, comme l’apôtre Paul lors de sa conversion… »
Par Harry Bellet - Le Monde Arts
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