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Art : le musée de la Toile de Jouy magnifie les « Fibres africaines »

 EXPOSITION. Tout l’été, le musée met en lumière la richesse des textiles du continent, tout en alertant sur sa vulnérabilité à l’heure de la mondialisation.

Vestes, robes, sacs, foulards, et même baskets… Depuis quelques années, le wax se décline partout, et sur tout. Emblématique du continent, l'imprimé est en fait né à des dizaines de milliers de kilomètres, en Indonésie. Industrialisé en Europe par les Pays-Bas et l'Angleterre, il attire pour la première fois l'œil des commerçantes togolaises dans les années 1950. Sa popularité grandit à mesure que les années passent, et pour attirer davantage de clients, les tissus se parent de messages personnels, de dessins symboliques. Aujourd'hui, c'est depuis l'Asie, qui détient 95 % du marché, que s'exporte le wax.

C'est cette histoire, et celle de nombreux textiles africains, que raconte l'exposition « Fibres africaines, patrimoine et savoir-faire textiles d'un continent », présentée au musée de la Toile de Jouy jusqu'au 5 septembre 2021. Sous le commissariat de l'anthropologue Anne Grosfilley et de l'espace culturel Gacha, elle offre une rétrospective d'un artisanat millénaire, peu ou mal connu. Sur le parcours d'exposition, les pièces traditionnelles côtoient les créations de stylistes africains contemporains : le bogolan malien et le kente Éwé – un pagne d'Afrique de l'Ouest – s'affichent ainsi sur des robes de Ly Dumas.

Des textiles porteurs de messages

Précieux supports de messages, ces tissus déterminent traditionnellement l'identité de celle ou de celui qui les porte. Ils peuvent indiquer sa classe sociale, ou une étape de sa vie, comme la maternité. L'exemple est montré dans la première salle d'exposition avec ces tissus ndop de style Wukari, où la mygale symbolise la sagesse, et les points cardinaux, les différents chemins de la vie. Sur ces textiles indigo, que l'on retrouve au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Mali ou encore au nord du Nigeria, les artisans tissent et dessinent aussi des formes géométriques, grâce à des techniques diverses, des fils de raphia à de la cire, en passant par des points de couture. Certains stylistes s'essayent aujourd'hui à cette technique ancestrale, adire en yoruba, comme la créatrice Amaka Osakwe, dont certaines pièces ont été portées par Michelle Obama.

Au XXe siècle, les techniques se modernisent. Même s'il ne remplace pas les tissages artisanaux, le basin devient, par exemple, l'étoffe de prédilection de la teinture. L'usage de colorants de synthèse élargit les possibilités et multiplie la superposition des couleurs, ce qui séduit particulièrement la clientèle des pays africains islamisés. L'introduction des machines à coudre changent les étoffes et fait éclore de nouvelles tenues, comme la « robe mission », ancêtre de la kaba camerounaise ou du Grand Dakar sénégalais. Cette tenue ample, d'abord destinée à couvrir le corps et à cacher les formes, est ensuite progressivement raccourcie en corsage, et portée avec deux pagnes drapés par « la femme mariée et respectable ». L'évolution des procédés fait également vivre et évoluer certaines techniques emblématiques, comme le faso dan fani du Burkina Faso ou les perlages zoulous.

Détail d'un pagne, coton, Burkina Faso, Korsimoro, Peuple Mossi, collection Anne Grosfilley. Vue d'ensemble de la partie « Bruissement de la terre des ancêtres ».

Pour les artisans, une situation « dramatique »

Cet artisanat très divers, qui s'est toujours nourri des différentes époques qu'il a traversées est pourtant menacé. En cause ? La désindustrialisation de la filière, qui empêche désormais les artisans de produire sur place. « Après les indépendances, les pays africains se sont dotés de filatures de coton, pour transformer la matière première, rappelle Anne Grosfilley. Mais suite à la dévaluation du franc CFA en 1994, l'export de coton brut est devenu deux fois rentable. Du jour au lendemain, les usines ont été délaissées. Dix ans plus tard, lorsque l'OMC met fin aux quotas d'importation, le faux wax et des tissus peu chers et de mauvaise qualité ont envahi le continent. Pour les artisans, cela a été dramatique. »

Aujourd'hui, pour s'approvisionner, ces derniers sont dépendants de l'Asie, qui fournit massivement l'Afrique en fil, toiles, basins, en voiles et en perles. « Même si les dessins font africains, ils ne le sont pas puisqu'ils sont produits en masse dans des usines à l'autre bout du continent, déplore l'anthropologue. Cette méthode signe la faillite des impressions africaines ». C'est pourquoi Anne Grosfilley met en garde cette jeune génération de créateurs qui, « en valorisant uniquement le wax, célèbre en fait malgré elle des entrepreneurs asiatiques ». Tout comme les motifs bogolan reproduits sur des voiles synthétiques, « qui n'ont aucun impact économique pour les artisans maliens ». « On a l'impression de porter des vêtements qui ont du sens, mais, en fait, en négligeant leur provenance, on tue l'artisanat », ajoute-t-elle.

Pour sauver ce savoir-faire avant qu'il ne disparaisse, « une réforme de l'industrie pour soutenir les artisans est indispensable ». Comme au Burkina Faso, qui a inauguré début 2020 à Koudougou, une usine d'égrenage de coton biologique. Ou en Côte d'Ivoire, où l'usine Uniwax, au nord du pays, fabrique son propre tissu. Des exemples à suivre pour que le savoir-faire africain traverse encore les siècles.

Par Marlène Panara - Le Point

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