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Tensions.Après l’incident nucléaire, l’Iran montre les muscles face à Israël

 Alors que s’amorce la reprise des négociations entre Washington et Téhéran, la République islamique justifie l’annonce de l’enrichissement à 60 % de son uranium comme étant une réponse à la récente attaque contre le site de Natanz imputée à l’État hébreu. Décryptage de L’Orient-Le Jour.

Coup de poker ou balle dans le pied : confrontée à une attaque contre son site nucléaire de Natanz [le 11 avril], la République islamique a annoncé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) deux jours plus tard, le 13 avril, qu’elle reprenait l’enrichissement à 60 % de son uranium, se rapprochant ainsi des 90 % nécessaires à une utilisation militaire.

En début d’année, elle avait déjà franchi un premier cap en enclenchant le processus destiné à produire de l’uranium enrichi à 20 % dans son usine souterraine de Fordo, à 180 km au sud de Téhéran.

Cette déclaration par le biais du négociateur en chef iranien, Abbas Araghchi, est survenue peu de temps après son arrivée à Vienne pour la reprise des négociations visant à sauver l’accord sur le nucléaire de 2015.

L’ancien président américain Donald Trump en était sorti de manière unilatérale en 2018, réimposant une politique de la pression maximale à l’Iran avec des répercussions économiques et sociales terribles sur le pays. En réaction, Téhéran est progressivement – depuis mai 2019 – revenu sur ses engagements passés.

Étape importante pour la production d’une arme nucléaire

Abdolrasool Divsallar, codirecteur de la Regional Security Initiative du Robert Schuman Centre for Advanced Studies, explique :

C’est une partie de la stratégie de la politique étrangère iranienne qui est très bien conçue et qui vise à répondre à la menace reçue en imposant le même niveau de menace à l’adversaire.”

Selon Abbas Araghchi, il s’agit désormais d’établir près de “1 000 centrifugeuses supplémentaires” dans le complexe de Natanz. Des appareils “50 % plus performants, en sus du remplacement des équipements abîmés”.

La décision iranienne a été accueillie avec inquiétude par les chancelleries européennes, Paris, Berlin et Londres la qualifiant hier de “développement grave”.

Selon les trois États européens, qui font office de médiateurs dans les discussions entre Washington et Téhéran, “l’Iran n’a aucun besoin civil crédible justifiant un tel taux d’enrichissement”, la production d’uranium hautement enrichi constituant “une étape importante pour la production d’une arme nucléaire”.

Plusieurs opérations de sabotage attribuées à Israël

Le président iranien, Hassan Rohani, a, pour sa part, réaffirmé hier que les ambitions atomiques de son pays étaient uniquement “pacifiques”.

L’annonce iranienne est justifiée par les autorités du pays comme étant une réponse aux manœuvres hostiles d’Israël dont la dernière illustration serait la récente attaque contre le complexe nucléaire de Natanz.

Le programme nucléaire iranien a régulièrement été visé par le passé dans le cadre d’opérations de sabotage souvent attribuées à l’État hébreu, sans que celui-ci n’infirme ou ne confirme les supputations.

Une explosion avait ainsi déjà eu lieu sur le même site en juillet de l’année dernière. En 2010, la zone avait subi une cyberattaque majeure : le ver informatique Stuxnet s’était attaqué aux unités de contrôle des centrifugeuses, ce qui avait engendré de lourds dégâts. L’attaque avait été attribuée de manière conjointe à Washington et à l’État hébreu.

Convaincre l’administration Biden de durcir le ton

Cette fois-ci néanmoins, les États-Unis nient toute implication dans l’intervention de dimanche dernier. Israël est aujourd’hui la partie la plus farouchement opposée à la remise sur pied de l’accord de Vienne et fait, depuis plusieurs mois, des pieds et des mains pour tenter de convaincre l’administration Biden de durcir le ton et d’imposer des limitations nucléaires beaucoup plus restrictives en y combinant la question du programme balistique iranien et des proxys régionaux de Téhéran.

L’État hébreu a par ailleurs indiqué à plusieurs reprises qu’il était prêt à prendre des mesures militaires pour saper les aspirations nucléaires de son ennemi juré.

Même si Israël n’a pas revendiqué l’attaque du 11 avril, deux sources israélienne et américaine, citées par le New York Times dans son édition du lundi, soulignent qu’il aurait joué un rôle effectif dans l’opération.

Une guerre de l’ombre israélo-iranienne qui se poursuit aussi en mer. Un navire appartenant à des Israéliens aurait ainsi essuyé des tirs de missiles mardi [13 avril] près des Émirats arabes unis, lors d’une troisième attaque du genre ces derniers mois.

Embarras de Washington

L’attaque n’a pas été revendiquée, mais, côté israélien, tous les regards se tournent vers Téhéran. Le 6 avril, un cargo iranien avait été attaqué en mer Rouge, l’agence de presse semi-officielle iranienne Tasnim déclarant que le navire était la cible d’une mine à patelle.

“Si les États-Unis supposent que c’est l’un de leurs alliés – à savoir Israël – qui est responsable de ces opérations de sabotage, l’une des lectures que l’on pourrait faire est que la position de Washington dans les négociations pourrait s’affaiblir puisqu’il se montre faible dans la gestion du niveau d’escalade imposé par cet allié”, analyse Abdolrasool Divsallar.

Le timing de l’annonce iranienne [de reprendre l’enrichissement à 60 % de son uranium], alors que s’amorcent au même moment les discussions indirectes avec Washington, ressemble à un pari risqué, comme une manière de tenter le diable en braquant les Occidentaux et en donnant du grain à moudre aux faucons américains, particulièrement offensifs contre l’approche diplomatique de l’administration Biden et contre son envoyé spécial sur le dossier iranien, Robert Malley.

C’est “une provocation”, mais ce n’est “pas suffisant” pour mettre au point une arme atomique, a d’ailleurs estimé ce dernier, dont les propos ont été rapportés par l’Agence France-Presse (AFP).

Victoire attendue des conservateurs

La démarche de Téhéran semble également animée par des considérations internes à l’approche de l’élection présidentielle de juin. A priori, les conservateurs et les durs du régime devraient l’emporter, en partie du fait de l’échec des négociations irano-américaines.

La perspective d’un deal réussi avait nourri la victoire du [réformateur] Hassan Rohani en 2013 et en 2017. Mais, pour ses opposants, il a manqué de poigne face aux Occidentaux. Hier, le guide suprême de la révolution iranienne, l’ayatollah Ali Khamenei, a averti dans un discours télévisé que les négociations en cours à Vienne ne devaient pas “traîner en longueur”, car cela serait “nuisible” pour l’Iran.

“L’Iran envoie un signal fort disant qu’il ne sera pas intimidé par les attaques israéliennes. Cela vise également à renforcer sa position dans les négociations ainsi qu’à montrer aux électeurs iraniens que Téhéran répond aux assauts répétés d’Israël contre lui”, résume Sanam Vakil, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au centre de réflexion Chatham House.

Par Soulayma Mardam Bey / Lire l’article original

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