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A Madagascar, une bouillie à bas prix pour lutter contre la malnutrition infantile

 Vendue 6 centimes d’euro la portion, la « farine de vie » de l’entreprise Nutri’zaza permet de couvrir les besoins journaliers en micronutriments des plus jeunes.

« Koba aina ! » Les voix des vendeuses de l’entreprise Nutri’zaza se répandent de bon matin dans les ruelles de 67 Ha, un bas quartier d’Antananarivo. Comme chaque jour de 6 heures à midi (sauf le dimanche), elles distribuent la « farine de vie » dans la capitale malgache. Mélangée avec de l’eau, cette « koba aina » donne une bouillie bistre et épaisse qui permet de couvrir les besoins journaliers en micronutriments des enfants de 6 à 24 mois, en plus de leur alimentation quotidienne. Un complément indispensable dans un pays où un petit sur deux souffrait de malnutrition en 2019, selon la Banque mondiale.

Un à un, les pères sortent des maisons en tenant leurs enfants par la main. Il est 7 heures et, bien souvent, leurs compagnes sont déjà parties au travail. Léo*, 14 ans, sort timidement une petite liasse d’ariary de sa poche. La portion de « koba aina » en coûte 300, soit 0,06 euro. « J’en prends depuis deux ans, explique l’adolescent, engoncé dans son sweat kaki. Ça m’aide à garder mon poids. J’en donne aussi aux enfants de ma famille pour qu’ils aient autre chose que du riz. »

Près de 59 millions de « repas » ont ainsi été distribués depuis le lancement de Nutri’zaza, en 2013. Et depuis le début de la pandémie liée au coronavirus, en mars, les ventes ont encore accéléré. Pendant les semaines de confinement, mi-2020, l’entreprise sociale a observé une hausse des ventes de son produit phare de l’ordre de 30 % sur deux mois par rapport à la même période un an plus tôt. Le prix de la farine a été revu à la baisse pour permettre aux foyers affectés par le confinement de continuer de s’en procurer. Beaucoup d’hôpitaux y ont également eu recours.

« Le riz n’est pas un aliment adapté »

Outre la bouillie servie à la louche dans les rues par les petites mains de Nutri’zaza, la « koba aina » est distribuée en sachets dans des « hotely », des points de vente fixes, et dans les 8 200 épiceries de rue de la capitale, où la portion se vend 500 ariary. Conditionnée par l’entreprise malgache TAF, la mixture est composée de plusieurs types de farine (soja, maïs, riz et arachide). Si le complexe de treize minéraux qui enrichit la poudre (zinc, calcium, fer, vitamine C…) provient d’Afrique du Sud, toutes les matières premières qui composent la « koba aina » sont produites à Madagascar.

« Bien souvent, les mères donnent du riz à leur bébé dès 6 mois, voire avant, souligne Mandresy Randriamiharisoa, le directeur de Nutri’zaza. Le riz est un pilier de la culture malgache, on en mange trois fois par jour, et de grosses quantités. C’est très important pour les familles que les enfants aiment le riz, mais ce n’est pas un aliment adapté pour la croissance des petits. Souvent, au goûter, on leur donne aussi des “composés”, un mélange de pâtes malgaches, de gras de porc et de macaronis qu’on trouve dans les gargotes. Ça, c’est vraiment le pire. »

Etonnament, c’est dans la région des hauts plateaux, au centre de l’île, que le taux de malnutrition chronique est le plus élevé. Selon le Groupe de recherche et d’échange technologique (GRET), une ONG française partenaire de Nutri’zaza, elle touche 65 % des jeunes enfants, alors que la région fournit tout le pays en fruits et en légumes. « Les gens ne consomment pas leurs récoltes ou achètent peu de légumes à part des brèdes, moins chères, se désole Mandresy Randriamiharisoa. Ils préfèrent vendre pour acheter le riz. » Un manque de diversité alimentaire qui peut avoir des conséquences graves sur le développement physique et intellectuel.

« La marge est calculée au minimum »

Dans un pays où 75 % des habitants vivent avec moins de 1,60 euro par jour, selon la Banque mondiale, la portion de « koba aina » n’est pas accessible à tous. Son faible coût permet néanmoins de cibler la frange de la population qui surnage. En choisissant la vente plutôt que le don, Nutri’zaza veut ancrer dans les esprits les bonnes pratiques alimentaires. « La marge est calculée au minimum pour que l’entreprise fonctionne et puisse se mettre à l’abri en cas d’aléas », précise Claire Kaboré, la représentante du GRET à Madagascar.

« Cela fait sept ans que je donne de cette bouillie à mes enfants », confie Malala, 25 ans, sans emploi et mère de trois enfants : « Pendant la pandémie, c’était dur de trouver du travail à cause des mesures de confinement. Alors avec mon mari, on a mangé un peu moins pour pouvoir nourrir les enfants. » Ce sont les conseils des animatrices de l’entreprise qui l’ont convaincue de compléter l’alimentation de ses petits avec la « farine de vie ». Munies d’une paire de seaux de 2 kg chacun, ces femmes parcourent en moyenne 6 km à pied chaque jour.

A 67 Ha, elles sillonnent les planches posées sur des pilotis qui surplombent les champs de tsikafona, sorte de nénuphars invasifs qu’on donne à manger aux porcs. Le rôle de ces animatrices est crucial dans l’acceptation de la bouillie par les familles. Car beaucoup de réticences subsistent : la peur de l’empoisonnement liée à un aliment déjà cuit. « Ce sont des femmes qui vivent dans les quartiers et que nous avons recrutées, insiste Mandresy Randriamiharisoa. Les gens les connaissent très bien, elles nous permettent de tisser des liens de confiance avec la population. Dans les endroits un peu chauds, cela permet aussi de faire la tournée sans être agressé. » Prochaine étape pour Nutri’zaza : améliorer la formule de la farine sans en augmenter le prix.

Par Laure Verneau(Antananarivo, correspondance) - Le Monde

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