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Israël-Maroc : la paix marchandée

 Le royaume chérifien a normalisé ses liens diplomatiques avec Israël, après que Donald Trump a reconnu la marocanité du Sahara occidental.

L'annonce a été faite sur Twitter par Donald Trump. Dans une série de tweets, le président américain sortant a révélé que le Maroc et Israël allaient normaliser leurs liens diplomatiques. « C'est une percée énorme pour la paix au Moyen-Orient », s'est réjoui le pensionnaire de la Maison-Blanche, bien que le royaume chérifien se trouve au Maghreb... L'administration Trump œuvrait depuis plusieurs mois en coulisses pour que Rabat reconnaisse l'État hébreu. Le Maroc emboîte le pas au Soudan, à Bahreïn et aux Émirats arabes unis, qui avaient respectivement officialisé leurs relations diplomatiques avec Israël en octobre et en septembre dernier.

Mais à l'image de la paix entre Tel-Aviv et Khartoum, qui suivait le retrait par l'administration Trump du Soudan de la liste des pays accusés de soutenir le terrorisme, celle entre Israël et le Maroc semble là aussi le fruit d'une transaction entre Washington et Rabat. Dans la même salve de tweets, Donald Trump a ainsi indiqué qu'il avait également reconnu ce jeudi la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. « La proposition sérieuse, crédible et réaliste d'autonomie du Maroc est la SEULE base pour une solution juste visant à une paix durable et la prospérité », a souligné le pensionnaire de la Maison-Blanche. Dans un communiqué du palais royal, le roi Mohammed VI a indiqué que son pays allait « reprendre des relations diplomatiques » avec Israël « dans les meilleurs délais ». Les deux États avaient en effet déjà disposé de bureaux de liaison, à Rabat et à Tel-Aviv. Inaugurées en 1994, ces deux représentations diplomatiques avaient dû fermer au début des années 2000 lors de l'éclatement de la seconde intifada. « Le Maroc avait déjà de bonnes relations avec Israël sous Hassan », rappelle Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève.« Des milliers de citoyens juifs se déplaçaient déjà entre les deux pays et le roi Mohammed VI n'a jamais été opposé à la normalisation avec Israël, d'autant qu'il a beaucoup à y gagner. » Dans le communiqué du palais, le commandeur des croyants insiste avant tout sur la concession faite par les États-Unis sur le Sahara occidental. Pour Mohammed VI, la « position constructive des États-Unis (…) vient renforcer la dynamique de la consécration de la marocanité du Sahara ».

Conflit vieux de quarante-cinq ans

Colonie espagnole jusqu'en 1976, le Sahara occidental est un territoire désertique de la taille de la moitié de la France, situé à la lisière entre le Maroc, l'Algérie et la Mauritanie. Riche en gisements de phosphate et bordé d'eaux poissonneuses, cette bande de terre est contrôlée à 80 % par le Maroc, et à 20 % par le Front Polisario, groupe armé issue de la population nomade sahraouie qui peuple la zone. Soutenu militairement par l'Algérie voisine, le Polisario milite pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et souhaite l'organisation d'un référendum d'autodétermination dans le but d'établir l'indépendance du territoire. Au contraire, Rabat considère la région comme faisant partie de ses frontières « historiques » et réclame pour le territoire un statut d'« autonomie sous contrôle ».

Ce conflit armé vieux de quarante-cinq ans a abouti à un cessez-le-feu en 1991 sous l'égide de l'ONU, qui a déployé sur place une force armée : la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso). Mais les négociations organisées depuis entre belligérants piétinent, chaque camp refusant la moindre concession. Les Nations unies n'ont jamais réussi à organiser le référendum qu'elles appellent de leurs vœux. Or, pendant ce temps, le Maroc est engagé dans une vaste offensive diplomatique visant à asseoir sa présence sur le terrain. Depuis un an, une quinzaine de pays africains ont ouvert des représentations diplomatiques au Sahara occidental, entérinant officiellement le contrôle marocain sur le territoire. Cet automne, ce sont les Émirats arabes unis, Bahreïn et la Jordanie, trois pays arabes ayant reconnu Israël, qui ont annoncé l'ouverture de consulats.

Succès diplomatique de Trump

Affaibli par la crise politique qui secoue l'Algérie, son principal soutien, le Front Polisario a décidé de rompre le statu quo, qui lui est défavorable, en bloquant le 20 octobre dernier un groupe de routiers marocains au point de passage de Guerguerat, une zone tampon située à la frontière de la Mauritanie. En représailles, l'armée marocaine a lancé le 11 novembre une opération militaire visant à libérer l'axe, entraînant l'annonce officielle de la rupture du cessez-le-feu par le Front Polisario.

« Dans son désir de victoire totale face au Polisario, le Maroc avait besoin d'un soutien direct et franc des États-Unis afin qu'il reconnaisse la marocanité du Sahara occidental », décrypte Khadija Mohsen-Finan, politologue et enseignante-chercheuse à l'université Paris-1-Panthéon-Sorbonne. « De son côté, Donald Trump peut se targuer d'avoir obtenu un succès diplomatique avec la reconnaissance d'un pays important. Le Maroc est le meilleur allié des pays occidentaux dans le monde arabe, avec une population autrement plus nombreuse que les Émirats arabes unis et Bahreïn, et une importante communauté juive. Son roi est le président du comité Al-Qods (une structure dépendant de l'Organisation de la conférence islamique visant à défendre le caractère arabo-musulman de Jérusalem, NDLR) ».

Dans le communiqué du palais royal, le roi du Maroc a assuré que la reconnaissance d'Israël n'affectait d'aucune manière l'engagement du royaume à défendre la solution à deux États – israélien et palestinien – vivant côte à côte, pourtant rendue caduque par la poursuite effrénée de la colonisation en Cisjordanie, illégale en vertu du droit international. Mais à Rabat, le statut du Sahara occidental est autrement plus important que la question palestinienne. « Avec l'Algérie paralysée par l'absence de son président, le Conseil de sécurité de l'ONU qui a échoué à nommer un émissaire pour le Sahara occidental et les dernières semaines avant l'arrivée à la Maison-Blanche de Joe Biden, bien plus sensible aux droits de l'homme que Donald Trump, Mohammed VI disposait d'une fenêtre de tir rêvée pour réaliser ce deal », analyste le chercheur Hasni Abidi. 

À destination d'Israël, le souverain marocain a indiqué vouloir « accorder les autorisations de vols directs pour le transport des membres de la communauté juive marocaine et des touristes israéliens en provenance et à destination du Maroc ».La communauté juive d'origine marocaine compte environ 700 000 membres en Israël, dont 50 000 à 70 000 personnes visitent chaque année le royaume chérifien, la plupart en provenance de l'État hébreu. « La normalisation des relations entre le Maroc et Israël est peut-être moins stratégique que celle conclue avec les Émirats arabes unis, mais elle est plus émotionnelle pour la population israélienne », souligne un diplomate. « Elle est également symbolique : il y a des centaines de milliers de juifs marocains en Israël. »

Freedom1 / lepoint.fr

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