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Algérie : face au coronavirus, le hirak joue-t-il sa survie ?

C'est à un dilemme à haute portée politique que doit faire face le hirak. Faut-il, en raison du coronavirus, poursuivre ou suspendre les manifestations ?
« Je voudrais dire à mes frères et sœurs du hirak (…) faites très attention, il s'agit de votre santé et de votre vie. Méfiez-vous. Vous pouvez sortir comme vous voulez, mais prenez toutes les précautions pour éviter que votre santé et la santé de vos voisins, de vos frères, de nos mères, de nos pères soient en danger. » La déclaration publique, samedi 14 mars, du Premier ministre algérien Abdelaziz Djerad, alors qu'il inaugurait un centre réservé aux cas suspects de coronavirus à Blida (sud d'Alger), intervient dans un contexte tendu. Les débats restent chauds, parfois véhéments, entre ceux qui appellent à la suspension des manifestations populaires qui se poursuivent depuis un peu plus d'un an, et ceux qui appellent à les poursuivre malgré les risques de la propagation du coronavirus.

« Un devoir national »

« Faites très attention, parce que si cette maladie s'éparpille à travers tout le territoire national, à Dieu ne plaise, nous serons à un autre stade », a averti le Premier ministre, rejoignant des voix de la société civile, comme Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et opposant qui appelait sur Twitter à suspendre les manifestations « momentanément ». « La suspension temporaire des marches, en raison des risques sanitaires, s'impose comme un devoir national et préserve notre droit à manifester librement pour une Algérie plus juste et plus forte », précise l'ancien responsable. D'après les autorités, 45 cas ont été, à ce jour, confirmés par l'Institut Pasteur d'Algérie, « dont trois décès ayant des comorbidités ». Le déroulement du 56e vendredi de mobilisation dans plusieurs villes du pays a créé une polémique et des débats sans fin sur les risques d'une propagation du coronavirus, d'autant que certains s'opposèrent fermement à ces manifestations.

Vers une « trêve » ?

Pour Lila, médecin dans la banlieue d'Alger et qui n'a raté quasiment aucune marche depuis près d'un an, il s'agit d'un acte « irresponsable » : « Je continue à militer contre le système, mais vu la gravité de la situation et notre déficit en termes de prise en charge hospitalière, je ne peux accepter que l'on manifeste ainsi, mettant en danger les plus fragiles, comme nos aînés. » Un avis que ne partagent pas certains activistes du hirak. Sur sa page Facebook, Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADDH) a expliqué que « le hirak, après une année de mobilisation, a peur d'être floué par le système qui saisit cette pandémie comme une aubaine pour en finir avec son mouvement et assassiner le rêve Algérien ». « Oui, je comprends tous les appels à l'arrêt du hirak, mais moi, je lance un appel au gouvernement de faire des signes de bonne volonté, d'apaisement, pour le retour d'un minimum de confiance. » Une déclaration qui va dans le sens d'autres positions de militants qui considèrent qu'une suspension du hirak pourrait lui être fatale face à un système qui tente, via des arrestations multiples, de faire cesser ce mouvement. « S'affoler autant à cause du coronavirus qui n'est pas encore une épidémie en Algérie, c'est tomber dans la psychose imposée par les tyrans impérialistes, des grandes firmes et de nos dictateurs. La prévention est envisageable, mais la panique et le recul non », écrit, par exemple, l'activiste et journaliste Samir Larabi sur son compte Facebook.

Des martyrs ? Non, merci !

Mais cette attitude, même si elle a été relativisée par la suite face à l'indignation de l'opinion, a suscité la colère de beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux, car interprétée comme étant du « chantage ». « Le hirak ne doit pas donner des martyrs ou provoquer une propagation accrue du virus. D'autres moyens de mobilisation existent », soutient Lamine, étudiant en biologie à Alger et fervent « hirakiste ». « Oui, mais les rassemblements dangereux ne concernent pas uniquement le hirak : voyez le monde qu'il y a dans les parcs, les supermarchés, les rues… Surtout, depuis que les écoles et les facs ont été fermées jeudi dernier », nuance son camarade d'université.

Éviter « l'entêtement suicidaire »

Les autorités ont rappelé, samedi, que le fait de plus avoir école ne signifiait pas pour les parents de sortir tout le temps leurs enfants dans les lieux publics ! En attendant la marche des étudiants ce mardi, sujet à débat pour savoir si elle aura lieu ou pas, le très respecté éditorialiste Saïd Djaafar écrit dans Radio M Post une tribune dont le titre résume bien problématique « Arrêter les marches est impérieux : le hirak doit nous aider à vaincre nos colères ». « La crainte de perdre la grosse brèche ouverte par le hirak dans l'interdiction de l'espace public et de l'espace-nation ne doit pas nous mener à un entêtement suicidaire. Cet espace public, disons-nous dès aujourd'hui, que nous nous battrons avec force quand cette crise grave du Corona sera passée, pour le reprendre. C'est notre droit le plus absolu. »

Le hirak peut se redéployer autrement

« Je pense que le débat est mal engagé », estime de son côté le journaliste et critique Walid Bouchakour : « Plutôt que de polémiquer entre nous (protection contre le corona vs poursuivre le hirak) et créer des divisions qui ne devraient pas avoir lieu, je pense que cette énergie devrait être orientée vers le haut pour exiger une vraie stratégie de prévention et une transparence sur les informations concernant le virus. » « L'énergie du hirak, sa mobilisation intelligente et inédite de la société civile doivent maintenant servir à prévenir contre ce grand danger qu'est une épidémie : organiser des campagnes de sensibilisation, soutenir le corps signant, s'organiser localement, par quartier, pour aider et informer sur les risques… C'est cela, ce que nous a appris le hirak, le civisme et une haute conscience citoyenne », conclut Zahia, militante associative et médecin algéroise.

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