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Rentrée sociale en #Algérie : les incertitudes de septembre

ANALYSE. Le fort désir du mouvement populaire de dégager le système conjugué aux difficultés économiques croissantes promet de tendre encore plus le climat alors que l'armée reste, plus que jamais, au centre du jeu.
La rentrée sociale 2019 en Algérie s'annonce brûlante, et ce n'est pas seulement à cause de la météo qui persiste dans ses niveaux estivaux. Un peu plus de six mois après le déclenchement de la révolution le 22 février 2019 et la chute du président Abdelaziz Bouteflika, le pays vit toujours une situation de blocage politique et de marasme économique. « La rentrée sociale a toujours été marquée en Algérie par une dynamique sociale et politique, même dans des situations ordinaires », analyse le sociologue Nacer Djabi. « Qu'en sera-t-il pour une rentrée qui survient alors que le pays vit une révolution populaire depuis six mois. On évoque même la possibilité d'aller vers une escalade dans les formes d'expression du hirak, les citoyens constatant concrètement que la partie officielle tente d'imposer une feuille de route politique unilatérale », poursuit le chercheur.
La désignation d'un « panel de dialogue et de médiation », leadé par l'ancien président du Parlement Karim Younès, n'a satisfait ni les ambitions du régime, qui veut absolument aller aussi vite que possible vers une présidentielle, ni les désirs de changements radicaux prônés par le mouvement populaire et par une partie de l'opposition.

Confrontation

Le chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah, homme fort du moment, ne cesse de répéter que la priorité est l'organisation dans les plus brefs d'une présidentielle appelant, comme il l'a encore fait ce 27 août, à « accélérer le processus d'installation de l'instance nationale indépendante pour la préparation, l'organisation et la surveillance de l'élection présidentielle ».
« Je ne pense pas que les Algériens iraient voter dans les conditions actuelles », tranche, pour sa part, l'ancien ministre Abdelaziz Rahabi dans une interview à TSA. « Je ne pense pas qu'ils iraient voter d'ici la fin de l'année parce qu'il n'y a même pas un début de mise en place de mesures de confiance et d'apaisement », ajoute l'un des organisateurs de la première réunion de la société civile et des personnalités politiques pour lancer un « dialogue national » début juillet.
La non-libération des détenus considérés par l'opposition et le hirak populaire comme « détenus politiques » ainsi que les entraves aux libertés publiques, comme l'interdiction, cette semaine, de l'université d'été du Rassemblement Action Jeunesse, fer de lance de la contestation de la société civile, et de la réunion des partis de « l'Alternative démocratique », sont autant de preuves que les autorités n'iront pas dans le sens de l'apaisement. « Ces restrictions [...] sont antinomiques avec les revendications du hirak qui s'exprime clairement pour un État de droit respectueux des libertés », a commenté la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH).

La voie du compromis

Dans ce climat de blocage total, quelques initiatives pointent du nez afin d'explorer des voies ouvrant au compromis. La plus insistante est celle d'un jumelage entre une présidentielle et un « processus constituant », comme le propose le président du parti d'opposition Jil Jadid (Nouvelle Génération), Soufiane Djilali. « Les deux propositions majeures, présidentielle et constituante, présentent des avantages et des inconvénients et semblent a priori contradictoires. Dans un cas, nous pourrons avoir un changement de figure, soit un nouveau président, mais avec le risque du maintien du même régime. Dans l'autre cas, en voulant d'abord changer les structures institutionnelles avant toute élection, la situation peut déraper vers un désordre sans fin », explique Soufiane Djilali au Soir d'Algérie. Mais cette proposition, idéalement adéquate, car elle crée une synthèse entre les revendications populaires et l'intransigeance du chef d'état-major, semble avoir peu de chances d'aboutir. La présidentielle semble être l'option la plus défendue, notamment par un ténor de l'opposition, l'ancien chef de gouvernement Ali Benflis. Ce dernier a énoncé sur sa page Facebook, ce 28 août, ses quatre conditions pour aller à cette élection : des mesures de confiance et d'apaisement ; la démission du gouvernement Bedoui, dernier exécutif de Bouteflika ; la mise en place d'une autorité électorale indépendante ; et enfin la modification de la loi électorale.


Pour l'éditorialiste Mustapaha Hammouche, le risque en adhérant au processus électoral – même avec les « garanties » de transparence – est de faire perdurer le système contre lequel les Algériens se sont révoltés depuis le 22 février. « [Le] fait révolutionnaire a rendu service au régime et au système qui l'a généré et entretenu : il l'a aidé à défaire le nœud qui le ligotait à un président qui s'est rendu irremplaçable, mais qui était devenu inopérant. D'une certaine manière, le contretemps s'est transformé en opportunité pour le régime. Une fois Bouteflika et ses associés directs dégagés, et l'occasion faisant le larron, le régime se restructure et repart de l'avant. Un président qui convient aux nouveaux rapports de force ne manquera pas d'émerger des élections que la Constitution permet. »

Une rentrée sociale sur les braises

Et c'est en pleine incertitude politique que s'inscrit une rentrée sociale chaude. Depuis le début du mois d'août, et à travers plusieurs villes et villages du pays, les Algériens ont renoué avec les actions de protestation. Coupures d'eau, chaussées délabrées, chômage, inégalités sociales, mauvaises prises en charge sanitaires, conflits syndicaux, etc. « Depuis six mois, les citoyens commencent à ressentir davantage les effets de la crise économique qui touche le pays, et subissent surtout le recul et la stagnation de la croissance économique que connaît le pays, surtout depuis le début du mouvement populaire », fait remarquer le site économique AlgérieEco. Le 26 août dernier, la justice a nommé des administrateurs pour gérer les groupes Haddad, Kouninef et Tahkout, les trois hommes d'affaires réputés proches du régime Bouteflika et arrêtés ces derniers mois. Les employés de certains groupes concernés par la lutte anticorruption sont restés sans salaire depuis des mois ; des centaines de PME-PMI dépendantes de ces groupes sont en quasi-faillite ; les commandes publiques, principales ressources des entreprises privées, sont paralysées par la paranoïa instaurée par cette opération « mains propres » et les banques – privées ou publiques – vivent le même cauchemar éveillé. Le dinar qui se dévalue à vue d'œil et le prix du baril du pétrole qui ne remonte pas, malgré les tensions dans le Golfe persique, accentuent cette crise économique. « Afin d'équilibrer son budget de l'année 2019, le pays a besoin d'un baril à 116 dollars », estime un rapport du think tank Carnegie Middle East Center : « Comme l'Algérie importe 70 % de ce qu'elle consomme, cela aura des répercussions sociales importantes. » Le gouvernement, qui a déclaré avoir abandonné la solution de la planche à billets, semble incapable d'acheter la paix sociale, comme à son habitude. La seule issue probable serait, selon plusieurs observateurs, une diversion politique : faire démettre le gouvernement actuel. « La nomination d'un nouveau gouvernement demeure une carte que le pouvoir pourrait toujours sortir pour apaiser le front social et, sur le plan politique, donner plus de chances au dialogue en cours d'aboutir, d'autant que la revendication fait partie des préalables posés par une partie de l'opposition pour y prendre part », prédit le site TSA. Ainsi, d'une pierre deux coups. Un pari qui reste risqué face à une situation explosive.
Par Adlène Meddi, à Alger - lepoint.fr

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