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#Livres. Le Tanger de Christine Mangan

LA VIE EN NOIR – Dans "Tangerine", un envoûtant premier polar, la Britannique Christine Mangan décrit une amitié toxique.
Alice, Lucy. Interchangeables? Oui, non, un temps. Très court, au début de leur amitié lorsqu’elles se lient, s’attachent l’une à l’autre parce que si différentes de leurs camarades dans cette université de l’élite de Bennington, dans l’Etat du Vermont, sur la côte est américaine. Elles ont dix-sept ans, elles partagent la même chambre. Alice Shipley est orpheline, élevée par sa tante Maude. Lucy Mason est ce qu’elle a envie d’être. L’une est perçue comme fragile, l’autre comme forte et affranchie. Alice, Lucy, amies, ennemies, mensonge, vérité. La plongée dans l’univers de Tangerine revient à vous couper le souffle, à sombrer dans les profondeurs d’illusions noires. Sans aucune autre forme d’échappatoire.

"Tanger, soit on l'adore, soit on la déteste"

Alternance du récit, du point de vue. Ce sera tour à tour un chapitre Alice puis un chapitre Lucy. La même action souvent racontée par le prisme de l’une et l’autre. Le roman s’ouvre (presque) sur Tanger la belle. Nous sommes en 1956. Alice s’est mariée à John McAllister, loin de correspondre à l’homme dont elle avait rêvé à une époque. "Il était bruyant, mondain, effronté et souvent déraisonnable." On comprend très vite que quelque chose ne tourne pas rond parce que parler de Tanger, c’est se fondre dans la lumière, embrasée, chatoyante, obscure et inquiétante.
Cette ville est mystérieuse, elle provoque des sentiments forts et violemment opposés.
Pourtant, Alice, elle, ne rêve que d’une chose : "Les mains tremblantes, je tirai les rideaux pour ne pas laisser filtrer le moindre rai de lumière." C’est justement de là que naîtra l’idée du roman dans l'esprit de Christine Mangan. "Je venais de finir mes études à l’université de Dublin, j’avais soumis ma thèse qui portait sur la littérature gothique du 18e siècle. Tout ça mélangé, ces quatre années de gothisme échevelé, et ma découverte de Tanger, une cité qui ne ressemblait à aucune autre parmi toutes celles que j’avais pu visiter, cela a donné Tangerine. Cette ville est mystérieuse, elle provoque des sentiments forts et violemment opposés. Soit on l’adore, soit on la déteste."

Tangerine décrit l'emprise

Pour Lucy, évidemment, la ville sera sienne. Cette lumière solaire, elle va l’embrasser, cette foule, elle va s’y noyer, elle va aimer Tanger comme elle aime Alice. Avec passion et folie. Le malentendu se met en place. En réalité, il s’est déjà manifesté pendant ces années passées, à l’université. Alice, déjà, avait bien noté quelques bizarreries chez son amie. Comme cette fois, où lorsqu’elle lui raconte l’histoire du chien, elle sait dans son âme et ses tripes que Lucy ment. Mensonge fondateur d’une relation trouble que ni le temps ni l’éloignement vont réparer.
Les critiques les plus mordants disent que l’auteur a créé une version féminine du Talentueux Mr Ripley. Est-ce bien grave? On pourrait ajouter que le diabolique Rebecca d'Alfred Hitchock imprègne également le livre. Qu'importe. Parce qu'au fond, Tangerine décrit l'emprise. Celle d'une femme sur une autre. Et là, le compte y est. La façon dont l’une se souvient de l’autre, les détails décrits avec minutie, la folie rampante qui encercle ce couple/non couple mal assorti, accentue cette impression de suffocation. Le roman fonctionne. L'auteur distille le doute. Qui dit vrai? Prenez cette scène où Lucy essaie de convaincre son amie que cette dernière lui a bien prêté la montre de sa mère, est à glacer le sang. "Mais si Alice, voyons, bien sûr que tu me l’as passée. Tu ne t’en souviens pas?"

Passion, folie et mensonges

Lucy surgit donc un beau jour à Tanger. Elle frappe à la porte de chez Alice. Les souvenirs se télescopent. La première se rappelle les chocolats chauds et les rêves de voyage ensemble, comme deux sœurs, comme... La seconde ne revoit que la rupture. La fuite après la mort du garçon, celui qui ravissait son cœur. Des hommes, justement, il y en a aussi dans la nouvelle vie d’Alice. Peu nombreux, ombrageux, mystérieux. Il y a John le mari, foncièrement antipathique, qui d’emblée n’aime pas cette amie lointaine et jusque là inexistante dans l’esprit de sa femme. Ce John qui n’a même pas lu Jane Eyre et encore moins Les Hauts de Hurlevent de Charlotte Brontë.
Mais Lucy ne sait pas davantage qui est Paul Bowles. Et peut-on comprendre Tanger sans avoir lu l’écrivain américain? Il y a Youssef, le hâbleur, le "rapineur", celui qu’Alice évite avec un poil de dédain, mais qui dira à Lucy que maintenant, elle est tangerine. Deux hommes en marge mais qui pourtant feront tout basculer. L’univers de Christine Mangan est plus féminin que masculin mais la violence y est tout aussi sourde. La fin n'est ni celle de Rebecca ou du Talentueux Mr Ripley mais pourrrait être celle d'Elizabeth Taylor et de Montgomery Clift dans Soudain l'été dernier. Le soleil, implacable, une amitié placée sous le sceau de la folie. Une chose est acquise : on n’a pas du tout envie d’avoir une amie comme Lucy.
Tangerine par Christine Mangan, Traduction de Laure Manceau, Editions HarperCollins, 320 pages, 20 Euros.
Par Karen Lajon - lejdd.fr

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