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Littérature : Serge Bilé retrace l’histoire du premier samouraï noir de l’histoire

Dans son dernier ouvrage, "Yasuke", l’auteur d’origine ivoirienne, Serge Bilé revient sur le singulier destin d’un esclave africain devenu samouraï dans le Japon du XVIe siècle. Et exhume un nouveau chapitre oublié de l’histoire du continent.
Serge Bilé est une machine. Une machine qui avance au rythme d’un à deux ouvrages publiés par an. Vivant depuis 1994 en Martinique, le Franco-Ivoirien s’astreint à une discipline d’ascète. De 7 h 30 à 20 heures, il travaille pour Martinique Première, où il présente le journal télévisé. Puis, rentré chez lui, il besogne encore, mais cette fois sur ses livres, jusqu’à 3 heures du matin. Ce qui fait seulement quatre heures de sommeil ! « Mais j’ai le week-end pour me reposer », rassure l’écrivain. Yasuke (Owen Publishing) est son seizième ouvrage et raconte le destin improbable mais réel du premier samouraï noir. Rencontre avec un auteur qui a l’Histoire pour moteur.
Jeune Afrique : Votre premier essai, Noirs dans les camps nazis, date de 2005. Dans cet ouvrage et dans tous ceux écrits depuis, vous vous concentrez sur l’histoire des Noirs. Pourquoi?
Serge Bilé : Parce qu’il manque des chapitres dans l’histoire qu’on nous a racontée jusqu’ici. Peut-être parce qu’on estime qu’ils sont moins importants que d’autres. Il faut dire aussi qu’on a pris l’habitude de parler à notre place.
On sait tous qui a écrit ce discours [son conseiller de l’époque Henri Guaino]. Il émane de quelqu’un qui ne connaît pas l’histoire africaine. On se complaît dans une vision de l’Afrique qui subit, qui n’a pas fondé de grande civilisation… C’est amusant de se rappeler que les Noirs ont également eu des esclaves blancs, dans l’empire soudanais du Moyen Âge, par exemple.
Dans tout groupe, il y a une petite fraction de personnes qui ne veut pas qu’on touche à sa version de l’Histoire.
Vous attendiez-vous à ce que votre premier essai fasse polémique ? Des historiens avaient tenté d’en minimiser la portée, France Télévisions l’avait rejeté lors de la sélection de son prix pour les essais…
Je n’ai pas vu arriver la critique. Cela faisait dix ans que je travaillais sur le sujet, j’avais réalisé un documentaire sur le même thème en 1995 sans avoir de problème. J’étais invité partout, y compris dans les médias juifs. Mais dans tout groupe, il y a une petite fraction de personnes qui ne veut pas qu’on touche à sa version de l’Histoire.
Je ne cherchais pas à me lancer dans un débat sur la concurrence des mémoires… Les Noirs déportés dans les camps sont évidemment beaucoup moins nombreux. Et j’ai écrit depuis un autre ouvrage, Sombres Bourreaux, collabos africains, antillais, guyanais, réunionnais et noirs américains, dans la Deuxième Guerre mondiale [éd. Pascal Galodé] : mon propos n’est pas non plus de dire que les Noirs sont les plus beaux, vierges de tout ! Concernant le prix France Télévisions, la justice a tranché, et le groupe a été condamné à me verser 10 000 euros d’amende.
Dans votre nouvel ouvrage, Yasuke, le samouraï noir,vous êtes très prudent. Vous citez vos sources à longueur de pages. 
Je citais déjà beaucoup mes sources dans mes premiers ouvrages. Vous savez, tous les historiens, qu’ils soient français, ivoiriens ou antillais, voient d’un mauvais œil le fait qu’un journaliste mette son nez dans ce qu’ils considèrent être leur pré carré. En vérité, je ne fais pas le même travail qu’eux, je suis un vulgarisateur. Je n’écrirai jamais dans le style d’un pédant du XVIIIe siècle ; mon objectif, c’est de toucher le plus grand nombre.
Comment vous est venu le sujet singulier de votre dernier ouvrage ?
D’une discussion avec un lecteur martiniquais passionné par le Japon et qui m’a parlé de cet esclave africain, Yasuke, devenu samouraï au XVIe siècle. J’ai affiné par la suite en travaillant avec des spécialistes du Japon comme l’Ivoirienne Nathalie Kouamé, qui enseigne l’histoire de l’Asie orientale à l’université Paris-Diderot.
Quels sont les documents historiques sur lesquels vous vous êtes appuyé ?
On a notamment le témoignage d’un jésuite, le père Luís Fróis, qui raconte en détail le séjour de Yasuke sur l’archipel, comment les Japonais brisent des portes pour le voir alors qu’il s’est réfugié dans une auberge, comment on lui fait prendre un bain et on le frotte vigoureusement pour s’assurer que sa peau est bien noire, qu’il ne s’agit pas d’un Blanc maquillé…
Yasuke réussit à échapper au destin qu’on a tracé pour lui. Il n’est pas resté esclave, il ne s’est pas suicidé, il est devenu guerrier
Au-delà de l’anecdote, en quoi ce bout d’Histoire peut parler aux contemporains?
En ce que Yasuke réussit à échapper au destin qu’on a tracé pour lui. Il n’est pas resté esclave, il ne s’est pas suicidé, il est devenu guerrier. Sa volonté m’a impressionné. L’ouvrage montre également que le Japon d’alors n’est pas raciste, il n’y a pas de regard négatif sur le Noir, mais des interrogations. Un Noir peut se marier avec une Japonaise, ce qui paraît scandaleux, en revanche, aux Portugais de l’époque.
Vous affirmez que raconter ces autres chapitres de l’Histoire est devenu une responsabilité.
Oui, précisément depuis 1994. J’étais en Guyane pour France Télévisions et j’ai rencontré, installés le long du fleuve Maroni, les descendants des esclaves marrons échappés des plantations aux XVIIIe et XIXe siècles. J’ai retrouvé parmi eux des parents des Akans de Côte d’Ivoire, des gens qui portaient le même nom que moi, mon fils, ma fille. J’étais estomaqué, c’était une grande émotion. Et je me suis dit qu’il était anormal que des Africains, des Antillais ne connaissent pas leur histoire, leur culture formidablement préservée.
Que pensez-vous des nouvelles formes de militantisme afro, qui s’expriment notamment sur les réseaux sociaux?
J’ai le sentiment qu’on perd beaucoup de temps à pleurnicher. Personnellement, je ne suis pas dans l’indignation permanente, je n’ai pas le temps. Dénoncer est important, mais il faut surtout agir, construire, s’inscrire dans un débat citoyen. Cette volonté de me battre, je la tiens peut-être de mon enfance. Je suis arrivé à 13 ans en France, seul dans une pension à Poitiers. Faire « l’école chez les Blancs » était l’usage alors dans les familles fortunées. Mais il a fallu très tôt que je me débrouille seul et que j’affronte les problèmes. Je ne pouvais pas pleurer sur mon sort.
Chez nous on a eu tendance à vouloir gommer le passé colonial, et les violences « raciales » prouvent qu’on le paie aujourd’hui
Parmi d’autres initiatives, vous avez créé l’association inter-culturelle ivoirienne et martiniquaise Akwaba pour créer des passerelles entre les cultures. Existe-t-elle encore?
Oui, mais elle n’est plus active faute de moyens financiers. Cependant, nous avons par exemple eu le temps d’affréter trois Airbus pour des vols charters directs entre Fort-de-France et Abidjan. Ce qui n’est pas si mal !
Depuis le temps que vous travaillez sur l’histoire des Noirs, avez-vous le sentiment d’avoir fait évoluer les mentalités? 
Je mentirais si je disais oui. Les universités américaines sont beaucoup plus en avance que les nôtres. Chez nous, il y a une forme d’effacement des mémoires et de déni. On a eu tendance à vouloir gommer le passé colonial, et les violences « raciales » prouvent qu’on le paie aujourd’hui.
Par Léo Pajon/jeuneafrique.com

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