Application World Opinions
Application World Opinions
Application World Opinions

Sylvère-Henry Cissé : Du Wakanda au Rwanda, en passant par Obama

TRIBUNE. À partir du film « Black Panther », une réflexion sur les succès et les modèles qui peuvent inspirer les communautés africaines-américaines mais aussi les populations du Continent.
Deux événements de nature et d'importance différentes se sont déroulés en février dernier aux USA et en Afrique.
En premier lieu, l'avènement du film Black Panther. Avant même sa sortie, le dernier opus de la saga Marvel a déclenché une frénésie rarement atteinte chez les fans de la franchise de super-héros. Un marketing savamment orchestré a tout d'abord suscité une attente mondiale avant d'être reçu triomphalement par le public et les critiques dès la sortie du blockbuster. Cinquième meilleur démarrage de tous les temps avec près de 200 millions de dollars de recettes aux USA, 360 millions dans le monde, accumulés lors du week-end de sa sortie. Et depuis, il ne cesse de battre des records en tête du box-office, en route vers le milliard de dollars à l'international.

Comment expliquer une telle réussite ?

A priori, on peut aisément imaginer qu'une forte mobilisation des communautés noires ait participé à l'engouement observé dès le lancement des aventures du roi T'Challa du Wakanda. On peut en déduire que la quête tant espérée d'un récit populaire commun aux Africains, Antillais, Caribéens et Afro-américains soit à la racine de ce succès. Nous pourrions affirmer, comme je l'ai entendu dire de la part des chantres essentialistes de l'identité noire, que Black Panther est la réponse à la question identitaire des Noirs, tant et tant étudiée, analysée et souhaitée. Enfin, on peut avancer que le film de Ryan Coogler, le réalisateur afro-américain, et son casting composé en quasi-intégralité d'acteurs noirs, est une ode à une négritude universelle puisant dans le rêve d'une histoire commune.

Black Panther : un succès au-delà de la communauté noire

Cependant, il serait faux de croire que Black Panther ne doit son succès qu'à un public noir. Les chiffres aux USA démontrent que le phénomène concerne toutes les catégories, et pas seulement les Noirs identiques par la mélanine, mais différents par les origines et les cultures. Les chiffres publiés dans Le Monde en date du 2 mars 2018 dans l'article* de Corine Lesnes le démontrent : « 37 % de Noirs et 35 % de Blancs le 1er week-end d'exploitation. La proportion s'est inversée le week-end suivant : ce sont les Blancs qui ont été les plus nombreux, avec 37 % de l'audience. Selon ces chiffres communiqués par Disney, les Latinos représentaient 18 % des spectateurs et les Asiatiques 7 %. « Jamais super-héros n'a joué pour un public aussi mélangé », a observé le Hollywood Reporter.
Plus précisément, que nous disent ces chiffres ? En clair, ces indicateurs sont le signe des avancées de l'indifférenciation. Oui ! De l'indifférenciation. La même qui a conduit Barack Obama à se faire élire en 2008. Au risque d'en décevoir certains, le 44e président des USA n'a pas été élu car il était noir. Il est parvenu à s'installer durablement à la Maison Blanche, certes, par son charisme et son talent, mais en grande partie grâce à une frange de la population américaine débarrassée des oripeaux de la discrimination.
Des électeurs essentiellement urbains et jeunes ont mis des bulletins dans l'urne, en étant totalement imprégnés de l'imaginaire façonné par la fiction. Dans les années 70, le commandant Harold Dobey, dans Starsky & Hutch, est le premier acteur noir à commander des Blancs dans une série TV. Une vingtaine d'années plus tard, dans le Prince de Bel-Air, on verra Philip Banks, oncle de Will Smith, juge à la réussite brillante, dont le fils Carlton est un républicain assumé aux mocassins à pompons et aux pulls à carreaux. Et quel bond dans les années 2000, avec le président noir David Palmer de la série 24 heures chrono, bien antérieur à l'élection d'Obama, où l'inconscient de millions et de millions de téléspectateurs a absorbé quotidiennement des images dépeignant une normalité où la qualité n'est pas définie par une couleur.
Ces symboles ont progressé et ils se sont installés durablement dans la société américaine. Nul besoin de faire un travail de déconstruction et de reconstruction de l'imaginaire sur ces électeurs, comme tentent de le faire les spécialistes de la diversité. Ils sont à même de se reconnaitre dans un héros « non-wasp** ». Ils ont poussé Obama à la Maison-Blanche et ils sont dans les salles obscures en s'identifiant sans filtre à un super-héros noir.
Black Panther, en rupture avec les représentations trop souvent véhiculées sur les personnes de couleur, renvoie, enfin, à un imaginaire fait de force, de glamour et de réussite, mais, surtout, complètement débarrassé de victimisation.
Donc, l'histoire est belle.
Black Panther, offre un pouvoir légitime aux Noirs, mais sans tomber dans l'angélisme. La solidarité panafricaine, le phénomène Nappy et l'identité capillaire, la relation des Afro-américains à l'Afrique et bien d'autres sujets, au centre des préoccupations des communautés noires, jalonnent le film et sont savamment disposés pour interroger sans déranger la digestion facile que réclame un film à grand spectacle.
PAR SYLVÈRE-HENRY CISSÉ/afrique.lepoint.fr

0 comments :

Enregistrer un commentaire

التعليق على هذا المقال