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ENTRETIEN. Saïd Ben Saïd : L'âge d'or du judaïsme en terre d'islam est un mythe

Écarté de la présidence du jury de l'édition 2017 des Journées cinématographiques de Carthage parce qu'il produit un cinéaste israélien, Saïd Ben Saïd pointe du doigt l'antisémitisme qui sévit dans le monde arabe.
Il s'apprête à produire les prochains films de Paul Verhoeven, Pascal Bonitzer, Kleber Mendonça Filho, cinéastes qu'il a déjà accompagnés sur les précédents longs-métrages. Mais c'est Synonymes de Nadav Lapid, en cours de tournage, qui lui a valu des démêlés avec les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) qui se tiennent actuellement à Tunis. Sollicité par Nejib Ayed, le délégué général du Festival, afin de présider le jury, Saïd Ben Saïd a accepté la proposition avec enthousiasme. Problème : Nejib Ayed ne l'a plus jamais rappelé… ayant appris tardivement que Saïd Ben Saïd produisait le film d'un cinéaste israélien. De quoi conduire Saïd Ben Saïd à réagir et à dénoncer l'antisémitisme dans le monde arabe, le même, à ses yeux, que celui qui a gangrené l'Europe au siècle dernier. 
Le Point Afrique : Vous êtes tunisien, français et musulman. Vos productions sont reconnues dans le monde entier. Comment expliquez-vous que votre pays d'origine ne soit pas plus fier de votre réussite artistique ?
Saïd Ben Saïd : Oh ! Ma réussite est vraiment très relative, et puis, je ne vis pas en Tunisie, je n'y produis pas mes films. Il est donc tout à fait normal qu'on y parle peu de moi.
On vous reproche implicitement de produire Nadav Lapid qui est un cinéaste extrêmement critique sur son pays, Israël. Pourquoi les JCC privilégient-elles la politique aux dialogues interculturels ?
Les JCC n'avaient vraiment pas d'autre choix que de faire marche arrière, car aller en Israël pour un Tunisien ou un Arabe, c'est le crime des crimes, et quiconque ose soutenir le contraire est précipité illico dans la fosse aux lions.
En quoi l'antisémitisme du monde arabe est-il similaire à celui qui a gangrené l'Europe ? 
L'antisémitisme est une paranoïa dépourvue d'argumentation. Drumont écrivait en 1886 que la finance et le capitalisme étaient aux mains des juifs. C'est mot pour mot ce que disent beaucoup d'Arabes aujourd'hui et je ne suis pas sûr qu'ils aient lu La France juive.
Le conflit israélo-palestinien n'est-il pas un prétexte politique au sein du monde arabe plus qu'une véritable cause ? Un slogan plus qu'un combat ?
L'histoire du conflit israélo-palestinien est très médiatisée, mais elle est en vérité très méconnue et très complexe, comme le montre très bien Henry Laurens dans les cinq volumes qu'il a consacrés à ce sujet. La situation des Palestiniens dans les Territoires occupés est terrible et préoccupante, mais elle est surtout pour une majorité d'Arabes le prétexte de la haine contre les juifs. Pendant ce temps, le peuple syrien est massacré dans l'indifférence et le silence des autres peuples arabes. Il est important de rappeler que l'antisémitisme dans le monde arabe est antérieur au conflit avec Israël et que de nombreux pogroms y ont eu lieu bien avant 1948 : à Bagdad en 1942, à Constantine en 1934, à Fès en 1912, etc. Certes, la situation des juifs y était meilleure que celle des juifs d'Europe, mais l'âge d'or du judaïsme en terre d'islam est un mythe.
L'antisémitisme que vous démontrez est lié à une lecture politique du Coran. Faut-il en finir avec le corpus de l'islam qui ne sait pas répondre au caractère conjoncturel de certains versets ?
Lire le Coran n'est pas sans danger, surtout lorsqu'on le fait en serrant contre soi des certitudes acquises depuis toujours. Il est donc primordial de connaître le contexte historique et géographique dans lequel a été élaboré le texte afin de ne pas lui faire dire n'importe quoi. Contrairement à ce que pensent certains, la vérité historique ne détruit pas la croyance, mais participe à son intelligence et à sa structuration.
On trouve Mein Kampf dans certaines librairies tunisoises. Comment expliquez-vous qu'en 2017 cela soit encore possible ? Et à la foire du livre d'Alger il y a deux ans, ce fut un des best-sellers du salon…
Cela prouve bien qu'il n'y a pas de différence entre les antisémites d'hier et ceux d'aujourd'hui. Qu'il ait vécu en Europe au siècle dernier ou dans le monde arabe aujourd'hui, un antisémite est soit un paranoïaque soit un pauvre d'esprit, et souvent les deux à la fois.
La Tunisie est une démocratie en construction. Que pensez-vous de son évolution intellectuelle et culturelle ? Ce qui vous arrive avec les JCC est-il révélateur de quelque chose par rapport à ce processus démocratique qui avance cahin-caha ? 
Je ne vis pas en Tunisie. Il m'est donc très difficile d'avoir un jugement fondé sur de courts séjours. Je me sens très fier d'être tunisien depuis la révolution et je souhaite qu'elle ne se termine pas, qu'elle se prolonge. Ce que j'entends par révolution, c'est évidemment l'insoumission à la dictature sous toutes ses formes et avant tout à la non-pensée et à la falsification religieuse et historique. En cela, l'élaboration de la Constitution a été un grand moment.
Ce matin, pas un mot dans les quotidiens tunisiens. Le débat est-il impossible ?
Je n'ai pas écrit ce texte contre les JCC, mais contre les haineux et ceux qui les protègent de leur silence.
PROPOS RECUEILLIS PAR NOTRE CORRESPONDANT À TUNIS, BENOÎT DELMAS - lepoint.fr

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