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France | Qui sont (vraiment) ces salafistes dont parle Manuel Valls?

Selon le Premier ministre, "les salafistes sont en train de gagner la bataille idéologique et culturelle dans l'islam de France". Pour les experts, les propos de Manuel Valls ne recoupent qu'en partie la réalité. Décryptage.


La mise en garde est signée Manuel Valls. "Il y a une forme de minorité agissante, des groupes (salafistes) qui sont en train de gagner la bataille idéologique et culturelle dans l'islam de France", a averti mardi le Premier ministre lors d'une table ronde sur l'islamisme et le populisme.  
Dans le viseur, le salafisme, pratique rigoriste de l'islam, qui "peut conduire à l'islamisme radical et au terrorisme", affirme Manuel Valls. Ce n'est pas la première fois qu'il cible clairement ce courant rigoriste de l'islam qui prône une lecture rigoriste du Coran. Après les attentats du 13 novembre, face à l'Assemblée nationale, le chef du gouvernement avait lâché: "Nous avons un ennemi, et il faut le nommer: c'est l'islamisme radical. Et un des éléments de l'islamisme radical, c'est le salafisme." Avec, en arrière fond, l'idée que la radicalisation violente est forcément précédée de la radicalisation religieuse. Qu'en est-il dans les faits? Quelle est la réalité du salafisme en France? Le sujet suscite de nombreux fantasmes. 

Quelle influence?

Les salafistes sont-ils en train de "gagner la bataille idéologique culturelle", comme l'affirme Manuel Valls? "C'est un peu réducteur. Le champ religieux lui-même n'est pas occupé par les salafistes, heureusement", explique à L'Express Bernard Godard, ancien responsable du bureau des cultes au ministère de l'Intérieur. 
L'auteur de La Question musulmane en France rappelle que ce mouvement qui prône un retour à "l'authentique" islam, aux pieux ancêtres, n'est pas nouveau. Il s'est installé en France il y a une quinzaine d'années. Cependant, "le logiciel salafiste a un peu changé il y a cinq-six ans. Avant, ils vivaient dans l'exclusion totale de la société avant de partir faire la hijra [le fait d'émigrer en terre d'islam, NDLR] en Egypte ou au Maghreb. Aujourd'hui, ils pensent qu'il est possible d'être salafiste et de vivre en France", poursuit, Bernard Godard. Barbe longue et qamis s'arrêtant au-dessus des chevilles pour les hommes, voiles amples et sombres pour les femmes, les salafistes de France sont majoritairement des "quiétistes". 
 "Manuel Valls a en partie raison, note de son côté le sociologue Samir Amghar, auteur de Le Salafisme d'aujourd'hui (Michalon, 2011). Le salafisme est effectivement l'une des principales références de l'islam en France à laquelle un certain nombre de musulmans se réfère. Elle se dilue dans les pratiques religieuses des musulmans. Mais ce n'est pas la seule."  

Par quels canaux?

C'est l'une des questions centrales qui entoure le salafisme en France. Car sa présence est plus dématérialisée que physique, dans les mosquées. "Sur le net, beaucoup de vidéos sont publiées par des prédicateurs salafistes, ce qu'il fait qu'ils sont vraiment numéro 1 sur ce média", a expliqué sur d'Europe 1 Abdelali Mamoun, l'imam d'Alfortville. 
"Les salafistes sont plutôt des jeunes, ils sont au fait des nouveaux outils de communication. Ils se sont investis à fond sur Internet, commente Bernard Godard. Si vous tapez par exemple le mot "da'wa" [invitation aux non-musulmans à écouter le message de l'Islam, NDLR], vous avez huit chances sur dix de tomber sur un site salafiste."  
Certains se sont construits une certaine influence par ce biais, comme par exemple l'imam de Brest, Rachid Abou Houdeyfa, suivi par plus de 230 000 personnes sur Facebook et qui poste de nombreuses vidéos sur Youtube. Ses propos exhortant les enfants à ne plus écouter de musique, assimilée au diable, avait créé une vive polémique en septembre dernier.  
Cette influence salafiste sur internet "donne l'impression qu'elle tient le haut du pavé, ce qui sape nos efforts pour diffuser un islam de paix", a estimé sur iTélé le recteur de la Grande mosquée de Paris Dalil Boubakeur qui s'oppose pour autant à l'idée que les salafistes ont gagné la bataille idéologique. 
"Ce n'est pas tant le salafisme que la salafisation des esprits qui gagne du terrain, analyse Bernard Godard. Ce discours pénètre chez des gens qui ne sont pas forcément religieux et vient se greffer à un sentiment de victimisation et de complotisme." 

Combien sont-ils?

"Les salafistes doivent représenter aujourd'hui 1% des musulmans dans notre pays", a estimé Manuel Valls. "En réalité, ils sont encore moins que ce qu'il prétend: ils représentent environ 15 000 personnes sur les 5 millions de musulmans présents en France", répond Samir Amghar. Soit 0,3% de la population musulmane en France. "Le nombre de personnes qui se revendiquent salafistes ces dix dernières années reste stable. Ce qui laisse supposer que, finalement, le phénomène de conversion dû au prosélytisme reste marginal." Pour le sociologue, "cette minorité ne s'inscrit pas dans une logique hégémonique. On est face à des initiatives individuelles non coordonnées au niveau national", décrypte Samir Amghar. 
On estime à une soixantaine le nombre de mosquées salafistes en France. Une dizaine ont été fermées depuis 2015, rappelle le ministère de l'Intérieur.  

Salafisme-terrorisme, quels sont les liens?

Le terrain est glissant. Salafisme et terrorisme sont souvent associés. Pourtant, leurs liens ne sont pas forcément directs. Pour l'imam d'Alfortville Abdelali Mamoun, "il est difficile de faire un lien direct entre salafisme et terrorisme", pour autant, leur "discours extrêmement rigoriste qui peut encourager les jeunes à plonger dans le terrorisme". 
"Le salafisme peut être un élément, il n'est pas le seul, assure le spécialiste de l'islam Bernard Godard. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre salafisme et terrorisme. Bien sûr, les terroristes peuvent fréquenter des lieux salafistes et être endoctrinés. Ceux qui basculent se servent et se nourrissent des discours salafistes mais aussi complotistes. C'est un cocktail." 
Certains terroristes, notamment du 13 novembre, n'ont pas de démarche théologique. "Au contraire des salafistes, ils ne comprennent pas l'arabe, ne l'apprennent pas; ils s'intéressent très peu aux textes, au Coran", expliquait Raphaël Liogier à L'Express en novembre. La vidéo d'un Salah et Brahim Abdeslam, en boîte de nuit, quelques mois avant le 13 novembre, ne laisse pas l'image de salafistes rigoristes. "Le salafisme ne précède pas forcément le terrorisme. L'un nourrit l'autre, et vice-versa." Pour le spécialiste, il peut même s'avérer dangereux de les assimiler. "A force de dire aux salafistes qu'ils sont des terroristes, cela peut les inciter à basculer."  
Ce qui a fait dire au président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Anouar Kbibech, que l'on a "plus besoin d'apaisement et de travail de fond, et pas tellement d'effets d'annonce et de prises de position un peu clivantes, qui pourraient être perçues comme stigmatisantes et donneraient du grain à moudre à ces groupuscules". 
Par Claire Hache/lexpress.fr

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