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Sexe et sacré: dans les lits du monde arabe

Shereen El Feki publie «La révolution du plaisir», résultat de cinq ans d’enquête. Le changement est en cours: il se fera avec l’islam plutôt que contre lui..
«Si l’on veut vraiment connaître un peuple, il faut commencer par regarder dans sa chambre à coucher», assure Shereen El Feki. Beau programme, appliqué pendant cinq ans dans le monde arabe, du Maghreb au Golfe, en passant par le Liban. Surprise: l’enquête menée derrière les bouches cousues et les portes closes dévoile un panorama qui «ressemble beaucoup à celui de l’Occident à la veille de la révolution sexuelle». Immunologue et journaliste, ancienne vice-présidente de la Commission mondiale sur le VIH à l’ONU, Canadienne transplantée à Londres avec des racines cairotes et galloises, la chercheuse prévient pourtant: le changement aura un autre tempo et d’autres formes que celles que nous avons connues. Il se fera – pourquoi pas – non pas contre mais avec l’islam, religion autrefois hypersensuelle, qui célébrait l’unité des élans charnels et spirituels à une époque où l’Occident les séparait… La révolution du plaisir*, qui paraît en français une année après sa VO en anglais, plonge dans une réalité à la complexité déconcertante, où les préceptes restrictifs coexistent avec un vaste éventail de pratiques, et où la religion se négocie à coups d’interprétations. Un livre clé pour comprendre le monde actuel.
Le Temps: Il existe, dans le monde arabe du Xe-XVe siècle, une tradition de textes érotiques et de traités sur la sexualité qui ferait rougir l’Occident… Qu’est-elle devenue?
Shereen El Feki: Elle a commencé à se tarir au XIXe siècle, dans le cadre d’un affaiblissement plus général – culturel, politique et économique – qui coïncide avec l’occupation européenne dans de nombreux pays de la région. On voit également apparaître des lois restrictives. Bien que certaines dérivent directement ou indirectement de l’islam, la plupart des dispositions légales en matière de sexualité découlent de l’occupation européenne au XIXe et au XXe siècle.
– Comment s’articule ce lien?
– Dans l’Egypte du XIXe siècle, cette attitude de fermeture vis-à-vis de la sexualité apparaît dans les groupes sociaux qui sont en contact direct avec les Européens. Les couches qui n’ont pas ce contact gardent, elles, une sexualité plus ouverte… Lorsque mon père était jeune, dans les années 30, il n’apprenait pas les choses du sexe dans son environnement quotidien – celui des couches moyennes urbaines et occidentalisées – mais au village, à la campagne, où les femmes parlaient ouvertement. On n’étalait pas le sexe en public, mais on ne le cachait pas, c’était un fait de la vie. Ce naturel, c’est ce que nous avons perdu… Les questions que pose le mouvement islamiste naissant sont également liées à l’occupation européenne. Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans en 1928, se demande: «Pourquoi le pays est-il tombé dans l’assujettissement? Est-ce parce que nous avons dévié de la charia, la loi de Dieu?» La définition de cette «déviation» se focalise alors sur le sexe, notamment la liberté des femmes et l’homosexualité. Dès la fin des années 70, on verra s’accélérer cette fermeture, résultat direct de la montée du fondamentalisme.
 Nic Ulmi  - LeTemps.ch 

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