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Mohamed Madani : « La violence dans les universités marocaines s’est banalisée »

Le 17 mai, à l'université de Meknès, des étudiants ont torturé une jeune fille en public et lui ont rasé le crâne. Depuis quelques années, les actes de violence se multiplient dans les universités marocaines.
Le climat qui règne dans l’université de Meknès est lourd. Le 18 mai, les forces marocaines de sécurité ont arrêté deux étudiants pour leur rôle présumé dans l’agression, la veille, d’une jeune fille qui travaillait dans la cafeteria du campus. Selon un communiqué de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), ils lui auraient ligoté les mains, l’auraient frappée et lui auraient rasé de force les cheveux devant une foule d’étudiants impassibles.
Les suspects, affiliés à une organisation estudiantine d’extrême gauche, l’auraient soupçonnée de livrer des informations sur eux à une faction rivale. Un fait divers qui, s’il n’est pas encore établi par la justice, est loin d’être un cas isolé.
Les scènes de violence, où des étudiants se font justice eux-même, se multiplient au Maroc et inquiètent la presse nationale. Le 27 janvier, deux étudiants sont morts dans les universités de Marrakech et d’Agadir suite à des accrochages entre organisations amazighs et sahraouies. Et en avril 2014, un étudiant, Abderrahim Hasnaoui, a succombé à ses blessures suite à des violences à l’arme blanche à l’université de Fès. Ses assassins, des étudiants d’extrême gauche, ont été condamnés à des peines de prisons allant de 6 à 15 ans.
Mohamed Madani, professeur de sciences politiques à l’université de Rabat, livre son analyse sur ces événements.
Jeune Afrique : Comment expliquez-vous ces actes de violence dans l’université marocaine ? 
Mohamed Madani : Dans l’espace universitaire, la violence est récurrente. Elle est même banalisée. Mais dans le cas de la jeune fille dont on a rasé la tête, la violence a été chorégraphiée et mise en scène. C’est pour cela qu’elle suscite l’indignation de l’opinion publique. À mon avis, le problème de base reste la défaillance de l’enseignement public. L’école marocaine est porteuse de violence. Mais on ne parle de cette situation inquiétante que lorsque des faits divers – qui restent par ailleurs assez graves – ou des fraudes commises par des étudiants au moment des examens sont portés à la connaissance du public.
Peut-on établir un lien entre ces actes de violence dans les universités et les nombreuses atteintes aux libertés individuelles qu’a connu le Maroc ces dernières années (agression d’homosexuels, atteinte à la pudeur…) ?
L’université fait évidemment partie de la société. Mais les médias ont propulsé certaines formes de violence au détriment d’autres. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne prête pas assez attention aux violences quotidiennes et à la situation d’abandon dans laquelle se trouvent les étudiants. Ces derniers évoluent dans un système qui manque de perspectives et où l’encadrement syndical, qui peut canaliser cette violence et lui donner un sens, a considérablement reculé.
L’université publique, qui doit être au centre de la réforme de l’enseignement, est abandonnée
Pourtant, l’université marocaine a toujours joué un rôle de premier plan dans l’histoire politique du Maroc. Elle est le berceau de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM), de l’extrême gauche, des organisations islamistes… Ces actes de violence ne témoignent-ils pas d’une mutation dans l’histoire de l’université ?
Il est vrai que l’image de l’université s’est banalisée par rapport à ce qu’elle était avant. Mais en même temps, la violence a toujours fait partie de son histoire. Rappelez-vous la lutte acharnée entre les différentes factions politiques dans les années 1970, 1980 et 1990 ! Ce qui a changé actuellement, c’est que ces actes d’agressivité interviennent dans un contexte de défaillance de l’université. Il faut enclencher un débat national axé, non pas sur les symptômes du mal qui sont connus de tous, mais sur la place de l’université dans la société.
Avez-vous noté un quelconque changement avec la réforme de l’enseignement prôné par le gouvernement ?
Dans sa globalité, cette réforme se limite à des effets d’annonces. Je constate par ailleurs une prolifération des universités « parallèles », semi-publiques ou privées, qui présentent maintenant une nouvelle offre aux étudiants. L’université publique, qui doit être au centre de la réforme de l’enseignement, est abandonnée.
Par Nadia Lamlili/jeuneafrique

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